Après d’intenses tractations, l’Assemblée nationale française a adopté, mardi soir, la nouvelle loi immigration, grâce entre autres aux 88 députés de l’extrême droite qui ont tous voté pour. Par contre, 59 députés de la majorité présidentielle se sont soit abstenus soit voté contre le texte du gouvernement, créant ainsi une fracture au sein de cette majorité, voire une implosion.
Ce vote (349 voix pour et 186 voix contre) a eu lieu sur le « texte consensuel », mais sous forte inspiration de la droite dure, proposé par les 14 sénateurs et députés membres de la Commission mixte paritaire (CMP) des deux chambres du parlement français (Sénat et Assemblée nationale). Cette solution alternative a été imposée par le président français, Emmanuel Macron, après le vote par l’Assemblée nationale d’une motion de rejet préalable du projet de loi initial, le 11 décembre dernier, initiée par la gauche. Le Rassemblement National (RN) et Les Républicains (LR) se sont félicités de l’issue du vote. Éric Ciotti, président des Républicains, a salué une « victoire historique pour la droite avec l’adoption de la loi immigration », tandis que Marine Le Pen, cheffe de file de l’extrême droite lepéniste, a revendiqué une « victoire idéologique incontestable » de son parti, anciennement Front national.
Pourtant, l’acceptation du parti de gouvernement d’un accord historique sur un texte avalisant l’un des principes phares de l’extrême droite, en l’occurrence « la préférence nationale », n’était pas gagnée d’avance. Les discussions sur le projet de loi immigration dans le cadre de la CMP s’étaient même brusquement arrêtées, lundi dernier, à la suite d’un différend majeur entre le gouvernement d’Elisabeth Borne et les partis de droite sur la question des prestations sociales versées aux étrangers en situation régulière. Ces prestations concernent entre autres l’aide personnalisée au logement (APL), les allocations familiales et les prestations de compensation du handicap. Ciotti avait conditionné le vote du projet de loi par le durcissement des conditions d’attribution de ces allocations. Il souhaitait que les « étrangers qui ne travaillent pas puissent attendre 5 ans avant de pouvoir toucher ces aides sociales ». Il a finalement obtenu gain de cause sur ce point et pleins d’autres.
Par exemple, en ce qui concerne les étrangers qui commencent un premier travail, le patron des LR et député des Alpes-Maritimes a demandé d’instaurer un délai de carence de « deux ans et demi avant qu’ils ne touchent les prestations sociales et familiales ». Le but pour lui étant de les dissuader de venir en France. « Il est légitime qu’il y ait des droits différents entre ceux qui arrivent et qui sont accueillis par la France et qui bénéficient d’un modèle social très généreux », a-t-il assuré sur BFMTV. Et d’ajouter : « Derrière tout cela, le but est de casser l’attractivité du modèle social français qui est sans doute le plus généreux d’Europe ».
Condamnations d’une compromission avec l’extrême droite
Remontée contre le gouvernement, la gauche a dénoncé la nouvelle loi, inspirée selon elle « directement du programme de Jean Marie Le Pen », fondateur du Front National. Pour Jean Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, il s’agit d’une « écœurante victoire dépourvue de majorité absolue ». Sur le réseau X, l’ancien candidat à l’élection présidentielle en 2022, précise : « 349 pour la loi. Sans les 88 voix du RN = 261 soit moins que la majorité absolue ! Après la marche commune du 12 novembre (contre l’antisémitisme avec la participation du RN, ndlr) voici la loi votée et écrite en commun. Un nouvel axe politique s’est mis en place ». Au Parti Socialiste (PS), on estime qu’il s’agit d’un vote de la « honte ». « Faire voter le programme du RN grâce aux voix du RN, chapeau l’artiste », a ironisé son Premier secrétaire national, Olivier Faure.
Assurant difficilement le service après-vente d’une loi qui n’a pas reçu l’adhésion de la gauche et de nombreux députés de la majorité présidentielle, la première ministre, Elisabeth Borne, elle-même issue du PS, a assuré sur la radio France Inter qu’elle « avait le sentiment du devoir accompli ». Et d’expliquer : « On voulait faire voter un texte sur des mesures utiles, efficaces, attendues par nos concitoyens, avec deux objectifs : éloigner plus efficacement ceux qui n’ont pas le droit d’être en France et mieux encadrer ceux que nous voulons accueillir. C’est ce texte qui a été voté hier, et je le dis : il a été voté sans les voix du Rassemblement national ». Cette dernière affirmation, reprise aussi dans les éléments de langage du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui porte le projet de la loi immigration depuis plusieurs mois, a été démentie par plusieurs médias, singulièrement l’équipe des Décodeurs du journal Le Monde qui affirme, après vérification, que le texte de loi « a bien été adopté avec les voix du Rassemblement national ».
Malgré le discours se voulant rassurant de Borne, Darmanin et du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, qui nie l’existence d’une « fronde ministérielle », la majorité est au bord de l’implosion et l’exécutif n’a jamais été aussi fragilisé. Parmi plusieurs ministres de gauche qui menaçaient, hier, de démissionner pour protester contre le texte de loi adopté, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, est passé à l’acte ce mercredi. Les autres frondeurs vont-ils respecter leur promesse ?
Que prévoit la nouvelle loi immigration 2023 ?
C’est désormais une loi immigration durcie qui a été votée mardi soir. Elle comporte plusieurs nouveaux points résumés ci-dessous :
1. Conditionnement de l’accès aux prestations sociales
Les étrangers en situation régulière mais sans emploi devront attendre 5 ans afin de pouvoir bénéficier des aides d’Etat (logement, allocations familiales, allocation personnalisée d’autonomie pour les plus de 60 ans, etc.). Pour les étrangers qui travaillent et qui sont en situation régulière, ils devraient eux aussi attendre 30 mois pour pouvoir bénéficier des mêmes aides, à l’exception de l’APL qu’ils peuvent recevoir au bout de 3 mois de travail.
2. Quotas migratoires
Dans le projet de loi présenté par le ministre de l’Intérieur, il n’y avait aucune référence à la création de quotas d’étrangers qui viendraient travailler en France. Désormais, c’est chose faite grâce aux pressions de la droite qui a déjà voté au Sénat le principe de quotas de personnes admises à séjourner en France pour une durée de 3 ans. La droite a également réussi à imposer un débat annuel sur l’immigration au niveau du parlement.
3. Fin de l’automaticité du droit du sol
Il ne suffit plus de naître en France pour avoir la nationalité française comme ce fut le cas avant, depuis pratiquement 5 siècles. Désormais, une personne née en France de parents étrangers doit faire une demande pour devenir française entre ses 16 et 18 ans. Quant aux personnes condamnées pour crimes, elles ne pourront plus obtenir la nationalité française.
4. Durcissement des conditions de regroupement familial
L’étranger résident en France devra dorénavant passer 2 ans sur le territoire français avant de pouvoir entamer des démarches administratives pour faire venir sa famille (contre 18 mois actuellement). De plus, il doit justifier de ressources financières stables et suffisantes, et disposer d’une assurance maladie. Il doit aussi avoir un conjoint âgé au moins de 21 ans au lieu de 18 ans actuellement.
5. Caution financière pour les étudiants étrangers
Pour pouvoir venir étudier en France, un étudiant doit présenter une « caution financière » que l’Etat pourrait utiliser pour payer d’éventuels frais d’éloignement. Cette caution doit être déposée lors de la demande de visa étudiant. Cette mesure, une première en France, risque de pousser les talents étrangers à opter pour d’autres universités européennes.
6. Déchéance de la nationalité pour les auteurs de violences contre les forces de l’ordre
Les étrangers en séjour régulier et même les binationaux pourraient être expulsés vers leur pays d’origine et voir leur nationalité française retirée s’ils commettent des homicides volontaires contre les forces de police et de gendarmerie. Qu’en déplaise à Emmanuel Macron, qui a exprimé son opposition à cette mesure en 2016.
7. Rétablissement du délit de séjour irrégulier
La loi immigration, votée par une majorité forcée par la droite, a rétabli le « délit de séjour irrégulier », supprimé en 2012. Ainsi, toute personne présente illégalement en France pourrait, en cas de contrôle, être condamnée à payer une amende, sans forcément une peine de prison, en attendant que la justice statue sur son cas.
Des mesures favorables aux immigrés ?
Malgré l’insistance de la droite pour la suppression de ce qui devait être un « titre de séjour exceptionnel » créé spécialement pour les métiers sous tension, la majorité a obtenu dans le texte final la notion de « régularisation exceptionnelle » au cas par cas, en donnant un pouvoir discrétionnaire aux préfets. De même, la désormais nouvelle loi immigration interdit le placement des enfants mineurs, sans papiers, dans des centres de rétention administratifs. Par ailleurs, l’Aide médicale d’Etat (AME), combattue par la droite car estimant qu’elle constitue un appel d’air pour les étrangers, a été finalement maintenue.
Doutes sur l’anticonstitutionnalité de la loi immigration
Bien que la loi sur l’immigration ait été définitivement votée, il n’en demeure pas moins qu’elle ne sera pas appliquée de sitôt. De nombreux recours seront déposés auprès du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une décision du gouvernement lui-même pour dénoncer certains articles inclus par la droite, soupçonnés d’êtres anticonstitutionnels. La France Insoumise, le PS et de nombreuses organisations de la société civile comptent, de leurs côtés, saisir les Sages en considérant que la loi est « contraire à la Constitution » et qu’elle est « discriminatoire ». Le Conseil constitutionnel, qui devrait recevoir le texte adopté aujourd’hui, devrait trancher et donner sa réponse d’ici janvier 2024. Même si la censure totale de la loi semble peu probable, l’institution garante de la Constitution de la Ve République pourrait se prononcer en faveur de la censure de plusieurs articles.
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