Canadair, le très populaire avion-citerne canadien qui a fait ses preuves depuis plus de 50 ans, est le plus apprécié sur le marché international. Toutefois, sa production a été arrêtée en 2015 et ne reprendra pas de sitôt, en tout cas pas avant 2026 pour les contrats de vente déjà passés. Or, la demande mondiale en ABE est estimée entre 200 et 300 unités dans les 20 prochaines années, selon différentes sources médiatiques citant des études de marché. Les pays sont donc contraints de chercher des alternatives car le temps d’attente pour les livraisons du futur Canadair DHC-515 est extrêmement lent et, de toute façon, vu sa capacité de production, Viking Air ne pourra jamais honorer autant de commandes.
Si la France a opté pour le « Dash Q400 », un autre avion du même constructeur que Canadair, le choix de l’Algérie s’est arrêté sur l’avion russe « Beriev Be-200 Altaïr ».
En fait, c’est quoi un canadair ?
Le mot « canadair » s’est imposé, ces dernières années, comme un terme générique désignant les avions bombardiers d’eau (ABE) ou les « avions-citernes » comme on les appelle à Montréal, ville de naissance de la firme Canadair, un constructeur aéronautique canadien fondé en 1944. Ayant financé en partie le projet dudit avion amphibie et en guise de soutien, le gouvernement local du Québec fait, dès 1966, une commande de 20 appareils CL-215, le tout premier modèle ABE de Canadair. Dans la même année, 10 autres sont achetés par la France pour équiper la Sécurité civile. Ils sortiront de l’usine de l’avionneur québécois à partir de 1969, deux ans après le vol inaugural du prototype. Le groupe Bombardier, qui a acheté Canadair en 1986, commence à commercialiser le nouveau modèle CL-415 en 1994. Celui-ci peut transporter un peu plus de 6 000 litres d’eau, contre 5 400 litres pour son aîné.
Sous l’impulsion de Bombardier, les canadairs sont devenus le fer de lance de la lutte contre les incendies de forêt dans le monde entier, durant les années 1980 et 1990. Néanmoins, à cause du manque de commandes depuis le début des années 2000, la multinationale canadienne a décidé d’arrêter leur production. Entre 2005 et 2015, selon elle, 32 appareils seulement ont été produits. En 2016, cette filiale a été cédée à Viking Air, un autre fabricant d’avions qui fait partie du groupe De Havilland Canada (DHC). Ce dernier, qui assure déjà la maintenance des CL-215 et CL-415, va produire le nouveau canadair, baptisé DHC-515, dévoilé en 2022 lors du Salon international de l’aéronautique de Farnborough (Angleterre).
Quels sont les pays qui possèdent des canadairs ?
Entre 1969 et 2015, environ 200 canadairs au total ont été produits et livrés à une dizaine de pays, qui les utilisèrent dans la lutte contre les grands incendies en les intégrant dans des flottes militaires et/ou civiles. Selon le Musée de l’Air et de l’Espace, basé à Paris, le modèle le plus vendu est le CL-215 avec 125 exemplaires. Le canadair, surnommé parfois le pélican, a été avant tout « prophète en son pays ». En effet, Viking Air a recensé sur son site internet 165 appareils, dont 63 appartiennent au Canada. Voici la liste complète des pays qui possédaient des canadairs CL-215 et CL-415 « en service, à la fin de l’année 2019 » :
Pays propriétaire | Nombre de canadairs |
Canada | 63 |
Espagne | 25 |
Italie | 19 |
Grèce | 18 |
France | 12 |
Turquie | 9 |
Croatie | 6 |
Maroc | 5 |
États-Unis | 4 |
Malaisie | 2 |
Corée du sud | 1 |
Thaïlande | 1 |
Pour la précision, la France dispose seulement de 4 appareils de moins de 25 ans et les autres ont besoin trop souvent d’être rafistolés, en attendant d’être remplacés. Le Maroc a acheté 3 autres canadairs d’occasions au Canada, en 2021, qui devront être restaurés par le fabriquant. Quant à la Malaisie, c’est le seul pays du tableau ci-dessus qui n’utilise pas ses canadairs dans des missions de lutte contre les feux de forêts.
En ce qui concerne la dernière génération de canadairs, DHC-515, l’Indonésie a été le premier pays à avoir commandé 6 exemplaires. Ensuite, six pays européens (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Croatie) ont fait une commande groupée à DHC pour l’achat de 22 autres hydravions, dont la moitié sera financée par l’Union européenne. Le tout sera livré entre 2026 et 2029. La société canadienne prévoit d’ouvrir une nouvelle ligne de production à l’horizon 2027, pour atteindre une capacité de production de 10 appareils par an.
Quels sont les points forts du canadair ?
L’emblématique aéronef, qu’on distingue facilement par ses couleurs jaune et rouge, a fait ses preuves sur le front des feux de forêts. Il a été, pendant longtemps, le seul avion conçu spécialement pour les combattre efficacement avec sa capacité de faire des largages ciblés et d’accéder à des zones forestières impossible d’atteindre par d’autres moyens. Il se distingue aussi par sa manière de se ravitailler : rapide, une dizaine de secondes, et sans se poser, juste en effleurant un plan d’eau douce ou la mer.
En plus de l’eau, il peut transporter environ 300 litres de produit retardant, qui est généralement mélangé à l’eau pour ralentir l’avancée des incendies. À sa composante chimique, on ajoute de l’oxyde de fer, qui est un colorant naturel rouge, dans le but de permettre aux ABE en opération de délimiter les zones déjà traitées. Vous comprenez maintenant pourquoi l’eau larguée par les canadairs est souvent rouge ?
Le fleuron de l’aviation canadienne va également très vite, avec une vitesse de croisière maximale de 330 km/h. Son autonomie est estimée à plus de 2 400 km.
Quels sont les inconvénients du canadair ?
Le canadair est la « citerne » la plus chère au monde avec un prix unitaire allant de 30 à 35 millions de dollars, sans compter les coûts d’exploitation et d’entretien d’environ 2 millions supplémentaires à en croire une enquête de la société Rand Corporation, qui conseille l’armée américaine. Et pour cause, les appareils subissent systématiquement des dégradations, plus ou moins importantes, notamment lors des opérations d’écopage. Cela réduit, en plus, leur espérance de vie sans de grandes opérations de maintenance régulières. D’ailleurs, la majorité de ces aéroplanes sont trop âgés, entre 20 et 50 ans, et nécessitent une rénovation complète.
Certains spécialistes reprochent également à l’avion son « manque de maniabilité » car il a besoin d’une grande surface pour décoller et atterrir. Il aurait de grandes difficultés à faire le plein d’eau dans les lieux bas, notamment les rivières et les barrages. C’est pourquoi aussi, les canadairs évitent de voler la nuit. Il y a des risques de collision avec les reliefs et autres obstacles naturels puisqu’ils sont obligés d’accomplir leurs missions à basse altitude.
De plus, le canadair a besoin de deux pilotes tandis que d’autres ABE sur le marché ont besoin d’un seul. Ce qui le rend davantage plus cher que ses concurrents. Selon une enquête du Sénat français, publiée en 2019, l’usage d’un canadair coûte près de 15 000 euros pour une heure de vol.
Enfin, le temps d’attente pour acquérir des canadairs sera beaucoup trop lent. Pourquoi ? Tout simplement, on ne les fabrique plus depuis 2015 ! Les nouveaux modèles ne seront disponibles qu’à partir de 2026. Il faut se projeter sur une date de livraison bien au-delà de 2030 pour des commandes faites après 2022. De même, le prix du DHC-515 pourrait, d’ici là, doubler par rapport à celui du CL-415. Il avoisinerait les 60 millions de dollars, selon le journal canadien La Presse.
Quelles alternatives aux canadairs ?
D’autres bombardiers d’eau existent et peuvent représenter une alternative sérieuse au Canadair. On cite souvent le Dash, plus grand et plus rapide que son cousin canadien. En effet, le bombardier Q400 dispose d’un réservoir de 10 000 litres et peut voler jusqu’à 670 km/h comme vitesse de croisière maximale, avec une autonomie de 2 000 km. Ce qui lui permet de couvrir des zones plus larges en une seule mission. Un autre bon point, pour un pays qui veut une solution ABE rapide, le carnet de commandes de DHC pour ce modèle est vide ! Et pour cause, le prix de l’avion-citerne Dash est relativement excessif. La France a dépensé environ 400 millions d’euros, en 2017, pour l’achat de 6 appareils tout équipés. Néanmoins, son coût d’entretien est moins important et sa durée de vie est plus longue car ce n’est pas un avion amphibie. Ce dernier point, pouvant être considéré comme un inconvénient, peut s’avérer une opportunité dans certaines régions. En 10 minutes, il peut se ravitailler en eau et en retardant dans des petites pistes adaptées, appelées « pélicandrome ».
Il y a aussi un ABE américain, plus maniable et beaucoup moins coûteux, en l’occurrence l’AT-802 Fire Boss, du constructeur Air Tractor. Le monomoteur texan est vendu à 3 millions d’euros. Il a une capacité de 3 100 litres d’eau et une autonomie de 1 200 km. En plus de son prix, l’avantage de ce petit avion, ayant renforcé la flotte anti-incendie girondaise (sud-ouest de la France) depuis ce mois de juillet 2023, c’est qu’il peut décoller et atterrir rapidement y compris sur des pistes sommaires. Ce modèle est utilisé en Espagne, depuis plusieurs années, qui dispose d’une vingtaine d’exemplaires, dont quelques appareils en version amphibie (AF-802).
On peut espérer, enfin, que la « startupisation » de la construction aéronautique puisse offrir d’autres solutions pour combattre les feux ravageurs. Deux modèles sont assez prometteurs : le « Seagle », de la compagnie belge Roadfour SA (12 500 litres), et la « Fregate-F100 » de la société française Hynaero (10 000 litres). Pour le prix, leurs premiers appareils ne seront pas vendus à moins de 50 millions d’euros. Et, il faut attendre au moins l’horizon 2030 pour un éventuel début de la production.
Pourquoi l’Algérie a-t-elle opté pour le Beriev Be-200 Altaïr ?
Pour l’ensemble des facteurs présentés, et évidemment en raison des liens forts historiques entre Alger et Moscou, l’Algérie a choisi de faire confiance au constructeur russe Beriev Aircraft Company pour équiper son armée en ABE. En août 2021, le ministère algérien de la Défense a annoncé avoir commandé 4 avions amphibies Beriev Be-200 Altaïr, modèle commercialisé depuis 1998. La vitesse croisière maximale de ce mastodonte est estimée à 610 km/h, avec une autonomie de 1 700 km en mission. Il dispose d’un réservoir de 12 000 litres, qu’il peut écoper en 14 secondes sur un plan d’eau d’au moins 2 300 m. Il peut aussi emporter 1,2 m3 de retardants chimiques. Sa morphologie imposante lui permet d’intervenir dans des conditions météorologiques extrêmes. Cependant, le Be-200 est assez cher. Son prix catalogue est affiché à 63 millions d’euros, juste un peu moins onéreux que le Dash Q400 évalué à plus de 66 millions d’euros.
Sur un autre plan, alors que l’Algérie a grandement besoin de renfoncer en urgence sa flotte aérienne de lutte contre les incendies puisque le pays connaît des mégafeux de plus en plus fréquents ces quelques dernières années, la guerre que mène la Russie en Ukraine, depuis février 2022, a complètement chamboulé le programme des livraisons pour lesquelles l’avionneur moscovite s’est engagé. Son client algérien en est ainsi la principale victime collatérale. L’Algérie qui devait recevoir son premier appareil en décembre 2022 ne l’a reçu que le 21 mai 2023, selon le site spécialisé en défense MenaDefense.net. La même source affirme qu’un deuxième exemplaire sera livré d’ici la fin de l’année. Quant aux deux derniers, il faudrait patienter jusqu’à 2024. Par ailleurs, des négociations se poursuivent pour l’achat de deux autres unités. Il serait aussi salutaire d’acheter des Air Tractor Fire Boss pour renforcer les moyens de la Protection civile, au premier front pour combattre les feux de forêts.
En attendant, la seule solution commerciale qui s’offre au pays c’est la location d’ABE. Cette pratique est très répondue. Plusieurs pays européens, dont la France, l’Italie, le Portugal et la Grèce, en font souvent recours. Des sociétés internationales sont spécialisées dans ce genre de services comme les canadiennes Conair et Coulson Aviation, l’espagnole Titan Aerial Firefighting ou encore l’italienne SoREM. Durant la saison estivale, le coût de location par appareil commence à partir de 2 millions d’euros par mois. Ils coûtent cher, certes, mais ne dit-on pas qu’une vie humaine n’a pas de prix !