« Des cercles puissants et des groupes de pression sont à la manœuvre pour influencer les relations franco-algériennes » (Hasni Abidi).

Hasni ABIDI est politologue, spécialiste de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Il est membre du Panel international sur la sortie de la violence et dirige le Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), basé en Suisse. Titulaire d’un Doctorat en science politique de l’Université de Genève, il enseigne au Global Studies Institute qui appartient à la même université. Il a été professeur invité à l’Université Paris I, durant plusieurs années, et chargé de cours à Sciences Po au campus de Menton (Côte d'Azur). Ses travaux portent sur l'évolution politique au Proche et Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il a également assuré des mandats de recherche pour plusieurs organisations internationales : UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), UNAOC (Alliance des civilisations des Nations unies) et CICR (Comité international de la Croix-Rouge). Il est, par ailleurs, l’auteur de plusieurs ouvrages et articles, notamment : 60 ans après les accords d'Évian : regards croisés sur une mémoire plurielle (co-dir., 2022), Le Moyen-Orient selon Joe Biden (dir., 2021) et Moyen-Orient : le temps des incertitudes (2e édition à paraître en janvier 2024). Dans cet entretien, il décortique les relations franco-algériennes à l’ère des présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune et argumente en faveur de leur apaisement et renforcement, à travers entre autres le maintien de la visite du chef d’Etat algérien en France.
Hasni Abidi est politologue, spécialiste de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Il est membre du Panel international sur la sortie de la violence et dirige le Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), basé en Suisse. Titulaire d’un Doctorat en science politique de l’Université de Genève, il enseigne au Global Studies Institute qui appartient à la même université. Il a été aussi professeur invité à l’Université Paris I, durant plusieurs années, et chargé de cours à Sciences Po au campus de Menton (Côte d'Azur). Ses travaux portent sur l'évolution politique au Proche et Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il a assuré des mandats de recherche pour plusieurs organisations internationales : UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), UNAOC (Alliance des civilisations des Nations unies) et CICR (Comité international de la Croix-Rouge). Il est, par ailleurs, l’auteur de plusieurs ouvrages et articles, notamment : 60 ans après les accords d'Évian : regards croisés sur une mémoire plurielle (co-dir., 2022), Le Moyen-Orient selon Joe Biden (dir., 2021) et Moyen-Orient : le temps des incertitudes (2e édition à paraître en janvier 2024). Dans cet entretien, il décortique les relations franco-algériennes à l’ère des présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune et argumente en faveur de leur apaisement et renforcement, à travers entre autres le maintien de la visite du chef d’Etat algérien en France et sa bonne préparation par les deux parties.

Comment les relations entre la France et l’Algérie ont-elles évolué sous les mandats des président Macron et Tebboune ?

L’évolution des relations entre la France et l’Algérie n’est pas toujours tributaire de la nature des relations entre les deux chefs d’Etat. Elle subit les soubresauts inhérents à sa singularité. En marge des décideurs légitimes, plusieurs cercles puissants et des groupes de pression sont à la manœuvre pour tenter d’influencer et orienter cette relation dans le sens de leurs intérêts. Certes, une entente entre les deux chefs d’Etat est un facteur facilitateur, mais elle n’est pas suffisante. Le président français avait des atouts pour plaire et pour gagner la confiance algérienne. Son jeune âge et ses déclarations sur la Guerre d’Algérie pendant sa campagne électorale ont fait la différence avec ses prédécesseurs. Il était le candidat préféré d’Alger. Quant au président Tebboune, il est perçu d’une manière positive par son homologue français qui ne tarit pas d’éloges à son égard. La visite officielle du président français en août 2022, suivie par le déplacement de la moitié de son gouvernement, témoignent de cette volonté commune de sécuriser les relations entre les deux pays. Plusieurs crises ont émaillé les mandats des deux présidents, mais force est de constater que le point de non retour n’a jamais été atteint. Le statu quo dans la séquence franco-algérienne est désormais un progrès. La capacité des deux présidents à réduire tous les éléments toxiques qui veulent torpiller la relation entre les deux pays déterminera la suite.

« La visite du président Tebboune en France est non seulement souhaitable, mais nécessaire pour consolider le partenariat entre les deux pays ! »

Présentez-nous les principales étapes qui ont marqué ladite séquence durant les quelques dernières années ?

Il est difficile de séquencer les relations entre la France et l’Algérie. Néanmoins, sous la présidence de Macron et de Tebboune, on peut dire que l’évolution de leur relation a connu trois étapes dictées par les conjonctures nationales et internationales.

La première étape a pris les allures d’une phase d’attente et d’observation durant laquelle, chaque président tient à marquer son territoire. Le président Tebboune est face aux défis de l’après Hirak avec une priorité qui consiste à consolider son assise et tenir compte des enjeux internes. Son interlocuteur français, rassuré par la posture non dogmatique du président algérien, a centralisé le dossier Algérie au niveau de l’Elysée pour éviter les nuisances externes. Il a fait confiance à son ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui a réussi à jouer l’équilibriste dans cette équation. Macron a cherché des éléments de convergence pour bâtir une nouvelle relation avec Tebboune. Cette première période est basée sur le même constat : les limites, voire l’échec de la gestion de la relation entre Paris et Alger. Passée cette phase de reconnaissance, le président Macron a voulu inaugurer une nouvelle relation en dissipant les malentendus et en adoptant un profil rassurant. Ses atouts sont une compréhension des exigences algériennes en matière des enjeux mémoriaux et sécuritaires. Pour avancer, il a misé sur les aspects non clivants, sur les enjeux économiques pour bâtir un socle de confiance. Il fait recours à la relève de la jeunesse et à la société civile.

La deuxième étape consistait à mettre en œuvre les objectifs de la diplomatie française. Pour le président Tebboune, les priorités sont de nature interne. Se familiariser avec l’exercice du pouvoir présidentiel et avoir une convergence de vue avec l’armée ont pesé lourdement sur cette étape. Mais, les mutations dans le système régional et international ont imposé la politique étrangère comme une priorité après la mise en berne de la diplomatie algérienne durant une décennie. Les questions sécuritaires, le Sahel, la Libye, le dossier migratoire, ainsi que la question énergétique et les rapports économiques ont constitué le menu des discussions entre les deux capitales. La question mémorielle a été aussi prise en charge suite à la nomination de la commission Stora. Cette étape fut donc très prometteuse jusqu’aux déclarations du Président français relatées dans le quotidien Le Monde où il revient sur la rente mémorielle et sur la nature du système politique algérien.

La troisième étape a donc commencé par une grande colère d’Alger, qui rappelle son ambassadeur avec des mesures de rétorsion. Malgré ça, le point de rupture n’a pas été atteint. Les deux pays tiennent le choc durant plus d’une année pour amorcer un nouveau départ enthousiasmant, marqué par la visite officielle du président Macron et la signature de la Déclaration d’Alger (27 août 2022, ndlr). Mais cette étape demeure la plus critique. Les deux présidents ont été appelés à dépasser le malentendu lié à l’affaire Amira Bouraoui, et là un autre lié à la difficulté de concevoir le programme pour la visite du Président algérien en France. Il y a aussi à régler certains points dans les dossiers liés à l’immigration et à la coopération sécuritaire. Par ailleurs, suite aux déclarations électoralistes de certains chefs de partis politiques, y compris dans la majorité présidentielle, concernant la nécessité de revoir l’accord de 1968, le silence du Président français accroît l’agacement des autorités algériennes. En outre, la réaction officielle d’Alger par rapport à la mort du jeune Nahel, via un communiqué du MAE, n’a pas manqué d’alimenter le débat en France sur l’« ingérence étrangère » dans un contexte tendu. « Manipulation par Alger de ses ressortissants et influence sur des sujets », disaient certains responsables politiques, qui en profitent pour mettre une nouvelle charge contre ledit accord franco-algérien.

Quels sont donc les enjeux actuels des rapports franco-algériens ?

L’enjeu majeur réside dans la nature complexe de la relation franco-algérienne. Il convient de maintenir un niveau de relation digne des attentes. Cette relation nécessite la préservation de rencontres et d’échanges réguliers et la construction d’une relation singulière, traversée par le poids de l’histoire et le destin de ceux qui portent cette histoire. Les pouvoirs successifs sont en quête d’une sécurisation de cette relation. Les Accords d’Évian est l’acte fondateur de cette sanctuarisation et d’autres accords ont suivi. Ils résistent encore malgré les attaques répétées qu’ils subissent. La Déclaration d’Alger mérite un portage politique et populaire pour assurer cette dimension institutionnelle dont font défaut les relations entre Paris et Alger. 

« Paris peaufine pour cet automne sa nouvelle stratégie au Sahel suite à son retrait du Mali. Cette nouvelle stratégie ne peut pas faire l’impasse sur les préoccupations algériennes en matière de sécurité à ses frontières et sur les contours de cette coopération entre Alger et Paris. »

Qu’en est-il de la coopération sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme, en sachant que la presse officielle algérienne avait dénoncé récemment un rapprochement sur ce plan entre Paris, Rabat et Tel Aviv ?

Compte tenu des deux visions opposées de leurs politiques étrangères, il est très difficile d’envisager une percée dans le dossier sécuritaire entre Paris et Alger. Cependant, même sans pouvoir avancer, les enjeux sécuritaires demeurent un thème important dans les consultations entre les deux Etats à tous les étages de représentation. La question sécuritaire figure dans la surface des divergences entre les deux capitales. Pourtant, elle constitue un élément central dans les stratégies des deux pays, notamment dans la région du Sahel et en Libye. Paris peaufine pour cet automne sa nouvelle stratégie au Sahel suite à son retrait du Mali. Cette nouvelle stratégie ne peut pas faire l’impasse sur les préoccupations algériennes en matière de sécurité à ses frontières et sur les contours de cette coopération entre Alger et Paris. Et pour cause, cette coopération bute déjà sur la forte présence de la Russie dans la région et le positionnement d’Alger qui la considère comme un partenaire alors que Paris la qualifie de menace substantielle.

Quant à la relation sécuritaire entre le Maroc et Israël, elle a atteint un niveau très avancé puisque le royaume marocain va acquérir un système de défense israélien sophistiqué et une unité de production militaire, notamment pour fabriquer des drones. Effectivement, l’accélération et la régularité dans les relations entre Rabat et Tel-Aviv n’est pas de nature à rassurer les autorités algériennes. En revanche, Ia relation entre Paris et Rabat traverse une importante crise, même si les relations entre les deux pays sont toujours jugées stratégiques et ne subissent pas de grands dommages. Contrairement à la relation entre la France et l’Algérie qui subit des coups tordus de certains cercles influents, Rabat bénéficie de la bienveillance des mêmes cercles. C’est la conséquence logique d’une politique active menée par le Maroc pendant une séquence de plusieurs années désertée par la diplomatie algérienne.

En parlant de la Russie, le Président algérien était attendu à Paris avant Moscou, qu’il a finalement visité en premier. Quelles sont les implications de ce voyage pour l’Algérie ?

La guerre en Ukraine constitue un tournant dans les relations internationales. Européens et Américains considèrent que tout rapprochement avec Moscou est de nature à affaiblir leurs efforts visant à isoler la Russie. C’est une nouvelle contrainte dans les relations internationales que ni la politique de non alignement, ni la neutralité ne peuvent éviter. Par exemple, la visite du président Tebboune à Lisbonne (Portugal, ndlr), imaginée comme un signe de la diversification des relations entretenues par l’Algérie avec le reste du monde, n’a pas suffi à rassurer les Occidentaux. La lettre menaçante de certains membres du Congrès américain suivie par la couverture éditoriale de plusieurs médias français de la visite du président algérien à Moscou sont des indicateurs de cette grammaire internationale qui a basculé. Désormais, elle ne permet pas l’autonomie en politique étrangère. Une situation qui devrait inciter le récit de la politique étrangère en Algérie à prendre en charge cette mutation pour s’émanciper d’une doctrine souvent contraignante.

Êtes-vous d’accord avec certains commentateurs français qui pensent que la future visite d’État du président Tebboune en France est devenue « inutile » ?

Non, il convient de maintenir la visite, qui est une réponse adéquate et nécessaire pour ne pas laisser le champ libre à certaines voix, très écoutées en France, qui demandent au président Macron de revoir sa politique algérienne. Il s’agit aussi de convaincre les réfractaires du côté algérien de la nécessité d’un partenariat durable avec Paris.

Pour ceux qui disent que cette visite serait inutile, on peut leur répliquer que la demande du président Macron de participer au sommet des BRICS (organisation composée du Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Sa prochaine réunion plénière se tiendra, à Pretoria, au mois d’août, ndlr) sera alors contreproductive puisque la Chine et la Russie y mènent la danse. Or, les relations entre les Etats ne sont pas dictées par l’agenda médiatique.

Une partie des éditorialistes français et des groupes de pressions perçoivent et jugent les relations entre Paris et Alger à travers le prisme ukrainien ou colonial, devenu un dogme en politique étrangère. C’est ainsi qu’un certain establishment français a condamné à l’échec la visite du Président algérien en France avant même de définir les dates dudit voyage. Pour ces commentateurs, tel est le cas désormais dans plusieurs pays occidentaux, l’Etat qui ne condamne pas la Russie est forcément complice. Ce qui nous renvoie à une citation sinistre de l’ancien président américain, Georges Walker Bush : « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous ». La visite du président Tebboune en France est non seulement souhaitable, mais nécessaire pour consolider le partenariat entre les deux pays !

« La relation sécuritaire entre le Maroc et Israël a atteint un niveau très avancé puisque le royaume marocain va acquérir un système de défense israélien sophistiqué et une unité de production militaire, notamment pour fabriquer des drones. »

Quels sont les dossiers que ce voyage pourrait contribuer à régler ou du moins à faire avancer concrètement ?

Il existe un pari des deux rives de la Méditerranée de privilégier les questions non clivantes pour construire un climat de coopération et de confiance. Cette approche a le mérite de maintenir le lien entre les responsables des deux pays et de créer une véritable dynamique institutionnelle des relations. Quand les deux Présidents se réunissent et s’affichent à Alger, en août 2022, entourés par leurs chefs d’état-major et les chefs des renseignements extérieurs, c’est inédit. Le message est fort. Il est temps de plaider en faveur d’une approche qui consiste à sauvegarder la densité des échanges et la régularité des rencontres même en temps de crise. Les deux chefs d’Etat accordent une importance à la jeunesse, commençant par cette promesse de faciliter l’accueil des étudiants algériens dans les universités françaises. Le codéveloppement en matière de projets touristiques et agricoles pourrait également stimuler les projets communs, notamment ceux portés par la diaspora.

Le conflit mémoriel, qui bloque toute avancée significative entre les deux pays dans les différents domaines, pourrait être résolu idéalement de quelle manière selon vous ? 

Par le courage d’affronter un dossier douloureux, la résistance face aux critiques et pressions, et la patience de laisser les historiens faire leur travail en toute liberté. L’ouverture partielle des archives, la restitution des crânes de combattants algériens et la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans les assassinats de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel ont amorcé une dynamique constructive.

Environ trois millions de Français ont un lien avec la Guerre d’Algérie et observent avec nostalgie et amertume. Une partie de cette population n’est pas enthousiaste à l’idée d’un renouveau dans les relations entre Paris et Alger. Le président Macron est le président qui est allé le plus loin dans sa volonté de dépoussiérer ce dossier mémoriel, non sans dégâts. Il a fait du chemin.

Enfin, la constitution d’une double commission est un fait pédagogique indispensable dans ce processus mémoriel. Mais, il est illusoire de courir derrière une quelconque paix mémorielle. Chaque partie a le droit de tenir à son propre récit. Toutefois, cette divergence dans la lecture et la narration des faits historiques ne doit en aucun cas empêcher l’apaisement des mémoires et la construction d’une nouvelle relation entre les deux Etats. Dans ce sens, je pense que la nomination de Jean-Pierre Raffarin et Chérif Rahmani pour baliser la voie à une visite réussie du Président algérien est une option pragmatique et consensuelle qui peut apporter ses fruits.

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