Coup d’Etat au Niger : Jeu et enjeu diplomatiques entre Paris et Alger

Coup d'Etat au Niger
Le renversement du président démocratiquement élu au Niger, Mohamed Bazoum, par une junte militaire a surpris la France, pourtant fortement présente dans le pays. Une fois de plus ! Vu d'Algérie, cela est considéré comme une preuve supplémentaire de l'échec de la stratégie militaire française au Sahel. Dans ce contexte, on assiste à une confrontation diplomatique à distance entre Paris et Alger, avec deux styles complètement différents.

Cet évènement majeur, intervenu le 26 juillet, retient toute l’attention du gouvernement français après coup. Ce qui confirme que Paris maîtrise de moins en moins les choses dans ses anciennes colonies et aggrave le fossé entre les fins visées par sa politique étrangère et les aspirations populaires dans ces pays.

Souvenons-nous, par exemple, du basculement du pouvoir en Tunisie, le 14 janvier 2011, avec la chute brusque du président Zine el-Abidine Ben Ali sous la pression de la rue, dans le sillage de ce qui avait été appelé abusivement « Printemps arabe ». Au moment où les Tunisiens manifestaient par milliers dans tout le pays, Michèle Alliot Marie, alors cheffe de la diplomatie française, proposa au régime finissant de lui fournir du gaz lacrymogène pour mater la protestation ! Cette proposition indécente était à l’époque déjà symptomatique du déphasage et de l’anachronisme de la France par rapport aux pays africains.

L’Etat français ne se rendit pas compte que l’Afrique changeait, démographiquement, culturellement et géopolitiquement. Et depuis, rien n’a été fait pour mieux la comprendre et s’adapter. Or, certains signes ne trompent pas, on est très loin des accueils triomphaux et festifs des présidents français quand il se rendaient sur « leurs » terres d’Afrique. La « Françafrique » focardienne bat de l’aile à vue d’œil, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui se passe en ce moment au Niger n’est, tout compte fait, qu’une autre séquence d’un film dont on devine aisément la fin, qui sera inexorablement malheureuse pour la France officielle.

Mort officielle de la « Françafrique » !  

Le pré-carré français se rétrécit comme peau de chagrin sur le continent noir où la politique de l’Élysée a fini par entamer la légendaire patience des peuples africains, qui se sont convaincus qu’il n’y a désormais plus rien à attendre d’un pays voulant seulement s’assoir sur ses acquis à leur détriment. Facteur aggravant, l’arrivée de nouveaux acteurs (chinois, russes, turcs, etc.), plus entreprenants et beaucoup moins arrogants, a achevé de convaincre des « forces patriotiques » dans ces pays riches en ressources naturelles (uranium et or pour le Niger), et socialement pauvre, qu’il faillait prononcer le divorce définitif avec l’ex-puissance coloniale, quitte à user de moyens illégaux.

De fait, la vague de coups de forces constitutionnels et autres renversements de régimes apparentés à la France, même s’ils ont été démocratiquement élus (Mali, Burkina Faso, Niger, etc.) marque la fin d’une époque. Elle signe le véritable acte du décès de la « Françafrique » et le démantèlement de ses représentants locaux. Paris n’a vu que du feu.

Les totems placés dans ces pays, considérés jusqu’ici comme « amis », tombent l’un après l’autre comme des fruits pourris, sans que la France n’ait la possibilité de faire quoi que ce soit. Et ce qui complique davantage l’équation pour elle, qui se voit pousser dehors souvent de manière humiliante par de nouveaux régimes installés à la hâte sur les décombres des « marionnettes » reliées au palais de l’Élysée, c’est que ces « alliés » sont quasiment tous déconnectés des réalités de leurs pays.

C’est dire que malgré la légitimité démocratique du président Mohamed Bazoum, adoubé par la France, il n’est pas sûr qu’il puisse reprendre son poste comme si de rien n’était, même dans le cadre d’une sortie de crise négociée. En effet, les exigences démocratiques dans ce pays voisin de l’Algérie s’entrechoquent avec les impératifs de la realpolitik dans la région du Sahel.

Diplomatie algérienne dans le Sahel, un exemple à suivre ? 

Indépendamment des raisons qu’ils ont avancées et de leur objectif final, il est important de dire néanmoins que les auteurs du putsch ont commis une « double violence », politique et militaire, et leur action est condamnable à plus d’un titre. Le respect du droit international commande de ne pas applaudir le renversement des régimes installés démocratiquement via des coups de forces constitutionnels. Ceci est au demeurant un principe cardinal de la charte de l’Union africaine, qui ne reconnaît pas les régimes issus de coups d’Etat. 

Ce sont d’ailleurs ces principes qui ont motivé la position de l’Algérie, le pays africain le plus influent dans la région, contre le coup de force au Niger. Alger a exprimé son « profond attachement au retour à l’ordre constitutionnel » et démontré, une nouvelle fois, son respect du droit international peu importe le pays concerné le conflit. Dans des communiqués rendus publics, le 27 juillet et le 1er août, le ministère algérien des Affaires étrangères a réitéré le soutien de l’Algérie à « Mohamed Bazoum en tant que président légitime de la République du Niger ». Ceci pour le principe.

Dans le même temps, la diplomatie algérienne a pris le soin de mettre en garde les va-t-en-guerre contre toute « intention d’intervention militaire étrangère », dans un contexte de doute autour de la volonté de la France et des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de rétablir le président Bazoum dans ses fonctions par la force. Finalement, le quai d’Orsay a nié vouloir « intervenir militairement ». Entre temps, le Mali et le Burkina Faso, mais aussi la Guinée, avaient menacé que toute intervention militaire au Niger serait considérée comme une « déclaration de guerre à leur encontre ».

Le retour à l’ordre constitutionnel doit donc, comme le prône l’Algérie, « être réalisé par des moyens pacifiques qui éviteraient au Niger et à l’ensemble de la région une aggravation de l’insécurité et de l’instabilité, et à nos peuples davantage de vicissitudes et de tragédies ».

Même si Mohamed Bazoum n’est pas vraiment défendable à titre personnel, comme le prouve les manifestions de soutien aux putschistes, encore aujourd’hui, à cause notamment de sa gouvernance et sa proximité un peu « trop prononcée » avec la France, l’Algérie a raison d’exprimer la nécessité de rétablir l’ordre constitutionnel pacifiquement. Ce qui est à même de prémunir la région d’une nouvelle guerre aussi sanglante qu’inutile !  

La France paie les pots cassés de sa politique africaine

Or, le plus grand pays africain, dont les relations diplomatiques sont mal-en-point en ce moment avec la France, n’en souhaite pas moins que ce pays perde pied au Niger, comme c’est déjà le cas en Centrafrique, au Burkina Faso, au Mali et en Guinée. Contrairement à son principal rival en matière d’influence dans la région, l’Algérie n’a pas de but intéressé dans ces pays de la sphère francophone sinon celui d’entretenir des relations d’amitié et de bon voisinage (950 km de frontières uniquement avec le Niger), et pourquoi pas concrétiser des projets économiques mutuellement bénéfiques ?

En revanche, dans la mesure où la diplomatie algérienne a été toujours méfiante vis-à-vis de la politique interventionniste française en Afrique, décidée souvent d’une façon unilatérale par Paris et parfois contre l’avis d’Alger, elle pourrait être tentée de chercher un autre allié dans la région, autrement dit la Russie. Celle-ci s’intéresse de plus en plus à renforcer sa présence dans les zones d’influence traditionnellement françaises surtout par le biais de la lutte contre le terrorisme, sous-traitée au groupe Wagner.  

Avec les opérations Serval et Barkhane, ou encore ses manœuvres au nord du Mali avec le mouvement Azawad, la France a clairement suscité les soupçons des Algériens sur ses intentions « malsaines ». D’autant plus qu’elle a soutenu le lancement du fameux et fumeux groupe de coordination sécuritaire baptisé « G5 Sahel », constitué sans l’Algérie, et auquel a été ensuite admis le Maroc qui n’a rien à avoir avec le Sahel ! Ceci alors que l’Algérie avait déjà lancé un mécanisme similaire appelé CEMOC (Comité d’Etat-Major opérationnel conjoint). Il faut dire aussi que la France n’a rien fait pour la réussite des accords d’Alger, signés par toutes les fractions maliennes, voire elle les a « sabordés ».

Last but not least, les forces militaires françaises déployées dans les pays du Sahel s’avèrent incapables de lutter efficacement contre les djihadistes. Du coup, les pays concernés soupçonnèrent Paris de « ne rien faire » face aux groupes armés qui sèment troubles et désolation. Pire encore, depuis l’arrivée des troupes de Wagner et ses opérations anti-terroristes, jugées « réussies » par les autorités locales, l’armée française est directement accusée de « gérer » la menace terroriste pour « entretenir ses intérêts et ses hommes de mains ».  

Ce qui se passe au Niger confirme dans une large mesure que la peur a changé de camp. Les Africains se libèrent lentement mais sûrement de l’emprise française sur leurs pays, considérée comme néocoloniale.

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