Le Roi de la Loubia à Alger, il n’y a que le goût qui compte

Fondé par Ali-Khellil Ammar, au début des années 1970, le restaurant populaire Le Roi de la Loubia se situe rue Ahmed Chaïb, dite rue Tanger, à Alger-Centre, près de la place de l’Émir-Abdelkader et de la Librairie du Tiers- Monde (© D.R.).

À Alger pour un séjour détente ou de passage pour quelques heures chrono ? Cela ne change rien ! Pas besoin de plus pour vivre une expérience culinaire condensée, typiquement algéroise : déguster un bon plat authentiquement DZ, admirer le charme des quartiers populaires de l’intérieur, chater en vrai avec les gens sans aucun code. Bienvenue chez Le Roi de la Loubia, trônant rue Tanger à Alger-Centre.      

Est-il vraiment roi ? Oui, il a été couronné par ses clients, toujours loyaux. Ici, on ne vient jamais une fois. Il y a toujours une deuxième fois, une troisième… et puis une habitude. C’est le seul restaurant au monde où le plat se commande tout seul : la loubia algérienne à base d’haricots blancs. Le Roi c’était Aâmi Ali (tonton Ali) ou « El Moro », Ali-Khellil Ammar de son vrai nom, avant son couronnement donc. Originaire d’Annaba, il s’installa à Alger dans les années 1940. Il s’est éteint en octobre 2014, à l’âge de 78 ans. Son four, en revanche, est toujours allumé, comme la flamme du soldat inconnu. Dans le quartier, et parmi les habitués, ceux qui ont eu la chance de goûter la loubia d’El Moro le disent, haut et fort. Ils ne cessent de le répéter avec fierté. « Je suis un client ici depuis les années 1970, je travaillais alors comme fonctionnaire à la wilaya d’Alger. Je suis resté fidèle à ce restau car ses propriétaires le sont aussi. », témoigne Youcef, aujourd’hui haut cadre dans un ministère.

El Moro a « mis ses pieds dans le plat il y a déjà 50 ans », lit-on encore, et toujours, sur un vieil article accroché au mur de sa boutique, toute étroite, et pas que de monde, obligé de patienter dehors en faisant la queue peu avant midi. Le restaurant est ouvert tous les jours et il draine « la foule » à n’importe quelle heure de la journée. La partie du local réservée à l’accueil du public est composée, en tout et pour tout, d’une salle de deux m2 environ et de deux à trois tables disposées à l’intérieur. Trois à quatre autres sont installées sur le trottoir, sis rue Tanger. On l’appelle rarement ou jamais rue Ahmed Chaïb, son nom officiel depuis l’indépendance ; celui d’un héros et martyr de la Bataille d’Alger. Quoi qu’il en soit, elle est facile à trouver, se situant à deux pas de la place de l’Émir-Abdelkader et de la Librairie du Tiers-Monde. Comme ces deux lieux célèbres, Le Roi de la Loubia est un « monument » absolument à visiter quand on se retrouve à Alger-Centre. Au-delà du restaurant lui-même, l’allée qui l’abrite, typique d’Alger, vaut le détour. Elle est bruyante mais charmante, chargée d’histoire et de nostalgie. Un patrimoine algérois à découvrir et à redécouvrir.

Le journaliste de la RTBF François Mazure, producteur et présentateur de l’émission « Un monde à part », a été agréablement surpris par son expérience, en décembre dernier, au Roi de la Loubia. Et il l’a fait savoir.
Le journaliste de la RTBF François Mazure, producteur et présentateur de l’émission « Un monde à part », a été agréablement surpris par son expérience, en décembre dernier, au Roi de la Loubia. Et il l’a fait savoir.

Pas de chichi chez Le Roi de la Loubia

Chez Le Roi de la Loubia, les seules choses qui comptent sont le goût et le charme. Ni plus ni moins. On arrive, on attend, on blablate, on s’attable. Servi en deux minutes, il faut manger tout aussi rapidement afin de faire profiter les autres. Une fois à table, on ne cherche pas le menu. Il faut juste décider si Noss (demi plat de loubia) ou double Noss (plat complet). À la demande, elle peut être accompagnée d’un plat de sardine, d’un peu de hmis – une salade de poivrons et de tomates grillés, mélangés avec de l’huile d’olive – et de l’incontournable limonade blanche de Hamoud Boualem. Le tout à moins de 5 euros. Et si on se contente seulement du plat de la loubia, c’est moins d’un euro. Oui ! C’est vrai que c’est « Un monde à part ». Après le globetrotter Ben N’co ou encore l’attachée culturelle de l’ambassade américaine en Algérie, qui avaient déjà fait les éloges de ce « plan », le journaliste François Mazure a été surpris par la « magie des lieux », la « générosité des gens » et surtout la « perfection du goût ».

On est bien sûr dans un lieu antonymique au luxe et au confort, mais ce n’est pas important. « On cherche plutôt un endroit où on peut manger comme à la maison. », raconte Latif, en déplacement professionnel depuis Sétif. Tout est simple et modeste : verres, assiettes, portes pain, tables et tous les ustensiles de la cuisine. « On ne vient pas ici uniquement pour le prix bas non plus, mais par amour du goût. Je viens surtout lorsqu’il fait froid. », témoigne de son côté Nadia, qui consomme ce plat au moins une fois par semaine. En effet, Le Roi de la Loubia c’est pour tout le temps, il n’obéit pas ainsi à la règle des Algériens, et particulièrement des algérois, qui vaudrait que le plat de la loubia soit mangé exclusivement durant la saison du froid. « Nous, dès qu’on a l’occasion on vient », raconte une étudiante, en visite groupée de la Casbah d’Alger. « On ne découvre pas que le goût mais aussi la culture et l’histoire de la ville et du pays. », relate Abdallah. Il explique que les photos des martyrs, du vieil Alger, des célébrités locales, etc., accrochées aux murs avec plusieurs articles de presse, nourrissent sa curiosité. On nourrit le ventre et la tête !

Au Roi de la Loubia, pas de chichi. Lorsque le client est seul, il y a de fortes chances que d’autres s’attablent avec lui, avec ou sans son autorisation. Et ce n’est pas mal pris. On mange et on repart. Au moment de l’attente ou entre deux bouchées, on trouve, tout de même, quelques secondes pour parler de la CAN ratée des Fennecs, de la guerre à Gaza, de la situation socio-économique du pays, etc. Bref une journée ordinaire dans un quartier populaire algérien. C’est un lieu de mouvement perpétuel. Les serveurs et les clients les plus fidèles s’appellent avec leurs prénoms, parfois associés à des noms de clubs de foot ou d’autres surnoms. « Regardez ce monsieur en costume, c’est mon chef, il est chef de département où je travaille, mais chez Le Roi, il n’y a pas de hiérarchie à respecter. Premier arrivé, premier servi. », ironise Saïd. « Nous sommes tous là, dit-il amusé, pour le goût et le délice ». De 7h30 jusqu’à 19h30, les va-et-vient sont sans interruption, avec un pic de clientèle au déjeuner. Les clients servis plus tôt dans la matinée sont surtout des routiers et autres voyageurs. À partir de 20 heures, le surplus de la loubia qui n’a pas été vendu est servi gratuitement aux passants, principalement des pauvres et des sans-abris. La boucle est bouclée pour ce restaurant décidemment pas comme les autres.

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