44 ans sont passés depuis l’éclosion du Printemps berbère qui a vu sortir des centaines de milliers d’Algériens dans les rues pour réclamer la liberté d’expression, la reconnaissance de la culture et de l’identité amazighes ainsi que l’officialisation et la constitutionnalisation de tamazight au même titre que l’arabe. Si le gros des manifestations et des victimes de la répression féroce opposée par le pouvoir de l’époque a eu lieu dans la région de Kabylie, la diaspora algérienne a participé à sa manière à ce mouvement en le relayant ici en France et en lui apportant soutien. Dans cet entretien, Hacène Hirèche*, ancien chargé d’enseignement de la langue et culture amazighes à l’Université Paris VIII et militant pour les droits culturels amazighs en France, revient sur le rôle joué par l’immigration dans la promotion de l’identité berbère et pointe les divisions qui ont toujours miné ce mouvement.
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Propos recueillis par Yacine Farah
Le Printemps berbère a certes eu lieu en Algérie mais son écho a dépassé ses frontières. Quels ont été les apports de l’immigration algérienne à ce mouvement ?
Depuis le début du XXe siècle, l’immigration algérienne en France est un foyer de luttes politiques, culturelles, syndicales et intellectuelles. Hormis les soulèvements des banlieues initiés par le « Mouvement Beur » à partir de 1983, toutes les actions menées par les Algériens de France sont plutôt tournées vers le pays d’origine depuis la création de l’Etoile nord-africaine en 1926. Il en est de même pour le mouvement de 1980. Les universitaires qui avaient invité Mouloud Mammeri à la conférence du 10 mars 1980 et dont l’interdiction a été le détonateur de ce mouvement, tous étaient enseignants à l’université de Tizi-Ouzou après avoir terminé leurs études en France. L’ouvrage Poèmes kabyles anciens, dont devait parler Mammeri ce jour-là, a été également publié ici à Paris chez Maspero.
Par ailleurs, les principaux partis politiques qui avaient pris part au soulèvement à la suite de l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri avaient leurs directions en France. Qu’il s’agisse du Front des forces socialistes (FFS), du Parti de la Révolution socialiste (PRS), du Front uni de l’Algérie algérienne (FUAA) ou de ceux de l’extrême gauche. Autrement dit, l’immigration algérienne a joué un rôle décisif dans le Printemps berbère. D’ailleurs, sans sa forte mobilisation, je crois que les prisonniers de 1980 et de 1985 n’auraient jamais retrouvé leur liberté.
Quel impact le mouvement d’avril 1980 a-t-il eu sur la communauté berbère en France ?
L’onde de choc du printemps 1980 a touché toutes les régions de France et toutes les couches sociales de l’immigration. Des manifestations de solidarité ont eu lieu dans toutes les grandes villes du pays. L’impact est si grand que des dizaines puis des centaines d’associations berbères ont vu le jour partout sur le territoire de l’Hexagone. Tout ce qui ne pouvait pas se faire en Algérie dans le domaine politique, historique et culturel était réalisé en France : publications d’ouvrages, de revues, de disques, de cassettes, de films, création de radios, de librairies et d’éditions spécialisées, organisation de partis politiques, etc. En plus de ce foisonnement intellectuel, l’impact le plus important, je crois, est que cette onde de choc a touché les jeunes générations nées en France. De nombreux enfants d’immigrés y étaient impliqués surtout dans le mouvement associatif né après l’arrivée de la gauche en 1981.
Pourquoi ce mouvement n’a pas pu unifier les luttes de tous les Berbères installés en France ?
Les obstacles dressés contre l’unification à l’échelle nord-africaine des luttes amazighes venaient essentiellement des infiltrations par les services des pays d’origine, dont les dirigeants ont choisi de nier leur identité, de la fouler aux pieds pour préférer s’accoutrer d’un ersatz de culture avec comme seul but de plaire aux régimes despotiques orientaux. Ils appellent ça, sans rire, une alliance stratégique avec « les pays frères ». L’autre raison est que les militants amazighs n’avaient, à contrario, ni moyens financiers, ni soutiens étatiques et n’avaient pas de compétences pour les rechercher. Descendue dans la rue, l’identité amazighe était plus une « pop revendication » qu’une vision à long terme. Il fallait, pour faire un travail sérieux, efficient et durable, beaucoup d’argent, de fidèles alliés, une organisation solide. Or, les meneurs de ce mouvement étaient pour la plupart des étudiants, de jeunes cadres inexpérimentés ou de modestes salariés.
Beaucoup d’acquis ont été obtenus depuis 1980. Êtes-vous satisfait ou pensez-vous qu’on est encore loin du compte ?
Le statut de la langue amazighe a incontestablement évolué. Une reconnaissance officielle est inscrite dans la Constitution algérienne, et marocaine aussi, ce n’est pas rien. Cela dit, je ne suis pas vraiment satisfait dans la mesure où ce qui est reconnu sur papier ne déteint pas de façon significative sur les politiques culturelles, éducatives, médiatiques de l’État. Les institutions administratives, judiciaires pour ne citer que celles-là restent hostiles à toute utilisation de la langue amazighe et à toute valorisation de ce patrimoine ancestral.
L’académie amazighe décrétée, malgré lui, par le président Abdelaziz Bouteflika n’a pas survécu à sa chute. Un président de cette institution a été nommé et des membres éminents l’ont été aussi mais elle est enterrée par la présidence suivante, celle d’Abdelmadjid Tebboune. C’est donc un mort-né qui prouve bien que la discrimination étatique envers l’amazighité n’est pas une vue de l’esprit.
Comment le Congrès mondial amazigh a-t-il porté cette revendication dans le monde ?
Le Congrès mondial amazigh (CMA) est venu beaucoup plus tard en 1995. Il est plutôt le résultat de tout le bouillonnement des années 1980. Il n’avait pas pour vocation de mobiliser l’immigration. Son but était de revendiquer les droits des berbères auprès des organismes internationaux et auprès de l’ONU. Son ambition était de se doter d’une structure représentative de tous les Berbères d’Afrique du nord et des pays du Sahel. Ses délégués venaient de ces pays-là ainsi que de toute l’Europe occidentale et de l’Amérique du nord. Un de ses principaux acquis est d’avoir une représentation avec les peuples autochtones aux Nations unies et d’avoir fait adopter le drapeau de l’Académie berbère par tous les mouvements amazighs dans leur pays respectif. Les difficultés du CMA sont, de mon point de vue, de deux ordres. Infiltré par les services marocains et algériens, le CMA a fini par imploser. Des clans se sont formés et la structure, rongée de l’intérieur, a versé dans les luttes intestines. Le second ordre touche à un manque d’expérience, de moyens et de maturité. La lutte des mâles dominants a fait le reste, mettant à genoux cette organisation désormais scindée en deux alors qu’elle avait suscité un énorme espoir d’unification.
Qu’en est-il du rôle joué par l’Académie berbère en France dans l’éclosion du Printemps berbère de 1980 ?
L’Académie berbère a contribué à l’éveil des consciences sur le fait amazigh depuis la fin des années soixante et dans les années soixante-dix. En 1980, elle n’existait plus. L’une des raisons essentielles, c’est la pression exercée par les régimes algériens et marocains sur le pouvoir français. L’autre raison vient des méthodes plutôt artisanales utilisées par cette structure totalement désargentée. Il faut dire aussi que le contexte politique et géoculturel avait changé. Mohand Arab Bessaoud, l’animateur principal de cette académie a été expulsé de France. Il s’est réfugié au Royaume Uni, c’est-à-dire loin de sa base militante.
Avec la disparition de l’Académie, la coopérative Imedyazen (poètes, ndlr) a pris la relève. Elle a été une véritable plaque-tournante dans le combat amazigh et des droits de l’Homme dans les années quatre-vingt. Ce sont les fondateurs de cette coopérative financée par Maître Ali Mécili qui ont travaillé en étroite collaboration avec les militants de Tizi-Ouzou et d’Alger. Toutes les informations passaient par là avant d’être dispersées en Europe, en Amérique et en Algérie même. Ils ont relayé minute par minute les événements qui avaient cours en Algérie et ont dénoncé toutes les actions répressives du régime. C’est là par exemple qu’ont été créées les structures importantes qui ont alerté la presse et l’opinion internationale et mobilisé une partie de l’immigration. Je veux parler du Comité de défense des droits culturels en Algérie (CDDCA) et du Collectif contre la répression en Algérie (CCRA). Ils ont été aussi à l’origine de plusieurs publications sur la répression, sans compter les marches, les meetings, les émissions de radios et télés, ainsi que de nombreuses autres actions comme des colloques universitaires.
Pourquoi n’existe-t-il toujours pas de maison berbère en France malgré les promesses répétitives des autorités de surmonter les obstacles à la réalisation d’un tel projet ?
La France officielle, que ce soit à l’échelon local, régional ou national, garde une culture jacobine très forte. Ce n’est pas sa tradition de valoriser les cultures minorées surtout lorsque celles-ci sont le résultat de l’immigration. Les femmes et les hommes politiques français font des promesses la veille des élections et oublient aussitôt le scrutin passé. Aucune politique française ne prend en compte le sort de l’amazighité ou des amazighs eux-mêmes lors même qu’ils soient des citoyens français. La France n’a de respect que pour les langues étatiques. Seul l’enseignement de l’arabe est proposé aux jeunes collégiens et lycéens nord-africains. Sur papier, tamazight est recensée comme langue de France par la commission Cerquiglini (Bernard Cerquiglini est auteur d’un rapport, en avril 1999, sur les langues de France. Il y recense 75 langues dont tamazight en vue de les inscrire dans la charte européenne des langues. La France n’a toujours pas ratifié cette charte, ndlr). Il ne faut jamais prendre pour argent comptant les gesticulations politiciennes. Du coup, pour la Maison Berbère en France, il faut compter sur nos propres forces.
Comment voyez-vous l’avenir de la culture berbère au sein de la diaspora algérienne ?
La culture berbère n’aura d’avenir en France et ailleurs que si la diaspora amazighe et particulièrement kabyle s’organise vraiment jusqu’à devenir l’interlocutrice des pouvoirs publics. Pour y parvenir, je ne vois qu’une seule issue : sortir des vœux pieux et constituer une force électorale. En France tout fonctionne à géométrie variable.
* Hacène Hirèche est docteur en sciences économiques (Université Paris X) et également diplômé d’un master en communication interculturelle (Institut national des langues et civilisations orientales). Consultant pour de grandes entreprises françaises, il est aussi enseignant universitaire spécialiste en programmation neurolinguistique et en analyse transactionnelle. Parallèlement, entre 1979 et 2016, il a assuré des cours de langue et culture amazighes à l’Université Paris VIII. Cet ancien militant du Mouvement culturel berbère (MCB), né des événements du Printemps berbère d’avril 1980, est de tous les combats de la diaspora algérienne en faveur des droits culturels, des droits humains et de la démocratie, dont le Hirak de 2019. Il est l’auteur de plusieurs publications, parmi lesquelles : Slimane Azem. Blessures et Résilience (L’Harmattan, 2022) ; Quel avenir pour l’Algérie et quelle place pour la Kabylie (Gouraya, 2015) ; Au nom du Peuple (préface, Imedyazen, 1986 ; réédité par Koukou Édition, 2010).
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