Les Américains intéressés par la politique linguistique en Algérie

Anglais en Algérie
La fondation américaine Carnegie pour la paix internationale s’intéresse à la politique de langue dans les systèmes éducatif et universitaire en Algérie. Le pays a récemment décidé d’étendre l’enseignement de l'anglais à tous les établissements scolaires, du primaire à l’université.

Cette décision, bien que présentée comme purement pédagogique par le gouvernement algérien, ne cesse de susciter le débat et de vives réactions politiques, entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Cela intervient dans un contexte politique national marqué par une dispute idéologique, de longue date d’ailleurs, autour des questions linguistiques et par une période de relations compliquées avec la France, dont la langue a été considérée en Algérie comme un « butin de guerre » depuis l’indépendance.

Ce qui en a fait concrètement l’un des plus importants pays francophones au monde, même si l’ancienne colonie française n’a jamais adhéré à l’organisation de la Francophonie. Ainsi, la volonté des autorités algériennes de généraliser l’usage de l’anglais est perçue par certains observateurs, dans les deux pays, comme un désaveu de la langue de Molière et un indice sur l’accélération du processus de substitution par la langue de Shakespeare !

Un tel choix politique n’a pas manqué, semble-t-il, d’attirer l’attention des puissances anglophones, à leur tête les Etats-Unis, à travers notamment les organisations non gouvernementales. C’est le cas de la fondation Carnegie pour la paix internationale, créée en 1910, qui joue le rôle d’un think tank servant la promotion des intérêts américains sur la scène internationale et l’exploration de nouvelles approches dans le domaine des affaires étrangères par le biais de conférences, recherches et publications. Dans ce sillage, elle a mis en ligne un article sur son site, le 20 juillet, autour de la nouvelle politique linguistique de l’éducation nationale en Algérie.

Même si Carnegie ne prend pas position, et précise qu’elle n’est pas engagée par l’opinion exprimée dans le texte signé par le mathématicien et chercheur algérien Abu Bakr Khaled Saad Allah*, qui est au demeurant très équilibré, l’intérêt de ce genre d’organisations pour le sujet en dit long sur ses grands enjeux. Pendant ce temps, la France officielle et ses différentes institutions sont déboussolées alors qu’elles sont de moins en moins audibles en Algérie.   

Anglais VS. Français…

Pour rappel, sur décision du président algérien Abdelmadjid Tebboune datant du mois de mai dernier, l’école algérienne s’apprête à généraliser l’enseignement de l’anglais dès la troisième année du primaire, un privilège réservé jusqu’ici à une seule langue étrangère : le français. De même, les universités algériennes vont instaurer l’anglais comme première langue vivante. Ce nouveau programme est applicable dès la prochaine rentrée académique 2023/2024.

Dans son analyse, publiée en arabe et en anglais, Saad Allah explique que les choix linguistiques de la politique éducative algérienne sont pris entre les tenailles d’un débat idéologique, qui existe depuis 1962. Au moment où le courant arabophone a pu imposer la généralisation de l’arabisation de l’« école fondamentale », au début des années 1970, le courant francophone a réussi, quant à lui, à sauvegarder l’enseignement en français dans toutes les filiales universitaires des « sciences dures ».

Or, au-delà des langues qui les concernent directement, ces deux écoles de pensée se sont toujours confrontées concernant l’introduction de l’anglais dans le système éducatif dès le primaire. « Alors que le français était enseigné à partir de la troisième année du primaire, l’anglais n’était enseigné comme troisième langue qu’à partir du collège. Les partisans du français ont refusé d’autoriser l’introduction de l’anglais au niveau primaire, et l’affrontement a atteint son paroxysme au début des années 1990, lorsque le ministre de l’Éducation, partisan de l’arabisation, a permis aux élèves du primaire de choisir entre le français et l’anglais comme deuxième langue. Les médias algériens s’en sont donnés à cœur joie avec l’immense débat qui s’en est suivi, mais quelques années plus tard le projet a avorté, et l’anglais a été retiré de l’enseignement primaire », précise l’auteur.             

Dilemme linguistique hautement politisé !

Pour lui, ces questions linguistiques sont hautement politisées, et le choix de la langue d’enseignement a de grandes implications sociopolitiques en Algérie. Si l’anglais prévaut progressivement, le courant francophone risquerait de s’affaiblir dans ses liens avec le pouvoir, l’administration et la société, surtout avec la tendance des jeunes à préférer l’anglais de plus en plus, considérée comme la langue universelle et celle de la science.

« Le passage vers l’anglais serait, d’un autre côté, avantageux pour les partisans de l’arabisation, qui ont depuis longtemps prétendu être victimes de discrimination en matière d’emploi en raison de la rareté des opportunités dans les administrations et les entreprises qui fonctionnent exclusivement en français, du moins jusqu’à il n’y pas longtemps », indique-t-il.  

Le document souligne, par ailleurs, que le dossier de la politique linguistique en Algérie est fortement influencé par les relations politiques, économiques et culturelles avec France. Une bonne relation bilatérale renforce le français face à l’anglais. La tendance s’inverse en faveur de la langue anglaise quand Alger et Paris se fâchent !

Ce débat n’est pas près d’être clos car il connaît des va-et-vient et des rebondissements permanents, depuis plus de 60 ans. Avant les annonces de cette année, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Bouzid Tayeb, avait annoncé, durant l’été 2019, son souhait de faire de l’anglais la première langue étrangère à l’université, au détriment du français. Il a fini par quitter son poste sans que son projet voie le jour ! Même si le gouvernement algérien paraît, cette fois-ci, déterminé à introduire l’anglais dans l’ensemble de l’université algérienne, le calendrier serré fixé pour la mise en œuvre de cette décision pourrait compromettre son succès, surtout que « le courant francophone, écrit Pr Saad Allah, résiste encore et pourrait faire avorter ce projet ».

En guise de conclusion, l’enseignant-chercheur considère qu’« en tenant compte de la réalité historique et de l’avenir du pays, la solution à ce dilemme linguistique réside dans le fait d’accorder à l’arabe l’importance qu’il mérite en tant que langue nationale et officielle, et donner à l’anglais une importance accrue à différents paliers d’éducation, sans pour autant compromettre la langue française, à laquelle l’Algérie est historiquement liée ».

* Abu Bakr Khaled Saad Allah est titulaire d’un doctorat en mathématiques appliquées. Il est professeur de mathématiques à l’École Normale Supérieure, en Algérie, et chercheur au Laboratoire des Équations aux dérivées partielles du ministère de l’Enseignement supérieur.

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