Madjid Si Hocine est un médecin hospitalier franco-algérien, spécialiste en gériatrie. Il exercice depuis près de deux décennies. Né en France mais diplômé en Algérie, il a été à l’origine de la première importante mobilisation des « médecins étrangers » contre la discrimination administrative dont ils faisaient l’objet. C’était en 2006, il était alors président du Syndicat des médecins étrangers en France. Le syndicaliste, aussi militant antiraciste et humanitaire, a accepté de faire avec France Algérie Actualité un petit état des lieux factuel d’un combat qui lui tient toujours beaucoup à cœur.
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Propos recueillis par Samir Ghezlaoui
Pouvez-vous nous fournir un aperçu général de la situation des médecins d’origine algérienne en France ?
Il s’agit d’une présence ancienne, datant d’au moins quatre décennies, avec des histoires variables. Certains, après des débuts parfois difficiles, ont fait des carrières « standard », voire « hachées », d’autres occupèrent les premières loges. C’est le cas actuellement, par exemple, de Pr Amine Benyamina (professeur de psychiatrie, chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, dans la région parisienne, ndlr). Depuis janvier 2014, il codirige une mission sur les addictions aux écrans à la demande du président Emmanuel Macron. Les médecins algériens en France ou franco-algériens (nés ou formés en France, ils sont généralement comptabilisés exclusivement comme médecins français, ndlr), balaient toutes les catégories de spécialités. Il n’y a probablement aucun hôpital en France où l’on ne trouve pas un médecin d’origine algérienne !
Parmi ce beau monde, la situation spécifique des médecins formés en Algérie pose toujours un sérieux problème de reconnaissance et d’équité alors qu’ils ont maintes fois contribué à sauver le système de santé français de l’effondrement, notamment pendant la pandémie de la Covid-19. Quels sont les principaux défis auxquels ils sont confrontés ?
Ceux qui sont des « irréguliers », comme on dit, sont en butte, à l’instar de leurs aînés, aux problèmes de reconnaissance. On ne parle pas à ce niveau de leurs compétences professionnelles, qui sont bien établies, mais plutôt de leurs diplômes. La profession de médecin en France est une profession strictement réglementée et ils doivent donc passer par un processus d’évaluation et de validation qui peut être plus ou moins long. Il faut néanmoins reconnaître qu’aujourd’hui il est plus simple et plus clair qu’il y a 20 ans, les besoins étant de plus en plus importants. Il n’est désormais plus grand monde qui ne remercie pas les « médecins étrangers », dont de nombreux algériens, d’être là.
Comment fonctionne justement ce processus de reconnaissance des diplômes médicaux algériens en France ?
Il y a essentiellement une épreuve annuelle de reconnaissance avec un concours qui permet d’enrôler un certain nombre de médecins dans chaque spécialité. Ceux-ci se voient alors affecter dans un hôpital pour y faire un parcours d’une durée de deux années, en général, au terme duquel il est évalué par une commission qui valide ou pas son inscription à l’ordre des médecins. À l’issue de la crise sanitaire liée à la Covid-19, il y a eu une procédure dérogatoire d’examen des dossiers, qui se reproduira peut-être dans l’avenir si les circonstances l’exigeront.
Sur le terrain, de quelle manière les médecins algériens s’intègrent-ils dans le système de santé français ?
Il n’y a pas de mesures spécifiques pour les médecins algériens. Mais la grande proximité historique avec la France et l’importance de la communauté nationale médicale dans le pays représentent un avantage certain pour eux. Il faut le dire aussi, leur bon niveau, notamment en ce qui concerne les médecins spécialistes, et leur capacité de travailler à toute épreuve avec abnégation font qu’ils finissent toujours par trouver leur chemin. Contrairement à ce que disent certains politiques, l’Algérien s’intègre généralement très bien et facilement dans la société française, peu importe son domaine d’activité, dès qu’il trouve un terreau favorable.
Quelles sont les disparités significatives en matière de conditions de travail des médecins algériens par rapport à leurs homologues français ?
Dès le moment où la reconnaissance est acquise, l’égalité est de mise automatiquement. Avant, en revanche, la précarité de leur statut induit une rémunération moindre si on la compare à celle d’un praticien hospitalier français, qui est beaucoup plus confortable. Et je ne parle même pas de la possibilité d’accès à l’activité libérale, source beaucoup plus importante de revenus, à laquelle ces praticiens « non reconnus » n’ont pas droit.
Vous qui êtes médecin engagé, pensez-vous que les droits et intérêts des médecins algériens, et étrangers d’une façon générale, sont assez défendus par les structures syndicales françaises ?
Il ne faut compter sur personne pour défendre ses droits, même s’il y a des syndicalistes humanistes qui défendent sincèrement la cause des médecins hors Union européenne. Par contre, beaucoup le font, aujourd’hui, car c’est leur intérêt après avoir soutenu longtemps qu’il fallait prendre des précautions, que tel ou tel pays ne fournissait pas des médecins de bon niveau, etc. Nécessité ayant force de loi, ils adaptent leur discours ! C’est donc aux médecins concernés de s’organiser eux-mêmes. Il y a près de 20 ans, en 2006, je faisais condamner le ministère de la Santé par la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, de 2004 à 2011, prérogatives transférées au Défenseur des droits, ndlr) pour « discrimination » envers les médecins étrangers. C’était une démarche au culot qui a changé les choses, une sorte de jurisprudence. Tous les moyens pacifiques sont bons pour défendre cette cause noble des médecins étrangers. Par exemple, j’ai bien aimé le film qui leur est consacré : Hippocrate, présenté à Cannes en 2014 ! Et de toute façon, ils doivent poursuivre leur combat contre l’injustice, qu’ils sont en train de réduire petit à petit. En 2005, près de 6000 médecins étaient des « clandestins » sans avenir, ce n’est plus le cas !
Après une longue tergiversation, le gouvernement français, confronté à la progression des « déserts médicaux », a entériné la création de la carte de séjour « talent – professions médicales et de la pharmacie ». Jugez-vous cette solution suffisante et juste pour les praticiens concernés ?
Ce n’est pas la bonne solution pour les déserts médicaux car on ne peut pas contraindre des médecins à s’installer dans un « désert » sous prétexte qu’ils ont un diplôme étranger, le Conseil d’Etat ne le permettrait pas. Xavier Bertrand l’avait tenté sans succès en 2006, alors ministre de la Santé. En revanche, on peut « noyer le marché » avec des praticiens venus d’ailleurs pour obliger les gens à aller chercher des postes là où il y a moins de « concurrence ». Pas sûr que ça marche non plus. Je crois surtout que c’est juste l’expression de pouvoirs publics débordés par une situation qu’ils n’ont clairement pas anticipée, et désormais hors de contrôle. La pénurie de médecins va encore durer pour un temps.
Quelles propositions faites-vous, pour satisfaire réellement les revendications des médecins algériens déjà en France, sans pour autant créer un « appel d’air » pour ceux qui sont en Algérie afin de ne pas compliquer davantage la situation sanitaire du pays ?
La situation a beaucoup progressé, le regard aussi. Il faut une procédure claire et rapide, respectueuse des candidats et qui les fait « monter en gamme » quand c’est nécessaire. Ce qui implique un passage par des services formateurs et pas par des services de très grande périphérie où cela dépend beaucoup des praticiens sur place. Il faut également ne pas faire perdre de temps à ceux qui n’ont pas besoin d’un parcours d’évaluation car ils ont d’évidence un niveau égal ou supérieur au praticien de base. Ils doivent bénéficier d’une reconnaissance rapide pour exercer librement. Il faut en outre gommer, le plus possible, les inégalités de traitement et réduire les tracas administratifs. Ces praticiens ont vocation à rester en France, autant qu’ils s’y sentent bien. Enfin, il me semblerait juste qu’il puisse se mettre en place un processus de coopération intelligente et légitime afin que la diaspora puisse contribuer tout de même au système de santé en Algérie ; soit par le transfert de connaissances, soit par le tutorat pour des étudiants algériens d’autant que certaines spécialités ne sont pas enseignées au pays.
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