« Marine Le Pen sera la prochaine présidente française » (Azouz Begag)

Azouz Begag
Azouz Begag est un homme politique, écrivain et chercheur universitaire en économie et sociologie. De nationalité algérienne, en 1987, il demanda la nationalité française qu’il obtient en 1989. Il est docteur en économie (Université Lyon 2), ayant travaillé sur les thèmes de la migration, l’exil et les mobilités urbaines dans les cités périphériques. Depuis le début des années 1980, il combine des fonctions de chercheur au CNRS à Lyon et d'enseignant en France et aux États-Unis (Cornell, UCLA, Philadelphie…). Militant antiraciste, médiatisé lors des émeutes en banlieue dans les années 1990, il entre dans le gouvernement Dominique de Villepin comme ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances (2005-2007). Par ailleurs, c’est un auteur à succès dès son premier roman autobiographique Le Gone du Chaâba (1986) jusqu’au dernier L'Arbre ou la maison (2021), prix Albert Bichot, en passant par son essai Un mouton dans la baignoire (2007). À ce jour, il a publié près de 70 ouvrages, dont beaucoup traduits à travers le monde. Dans cet entretien à cœur ouvert, il nous présente sans détour une vision lucide, quelque peu pessimiste, de la France d’aujourd’hui et de demain à travers ses relations complexes avec ses populations issues de l’immigration et avec l’Algérie.

Vous avez grandi en banlieue lyonnaise, une expérience qui a certainement marqué votre vie. Comment cela a-t-il influencé votre parcours à la fois dans la politique, la littérature et la recherche ?

Je suis un fils d’immigrés algériens de Sétif, pauvres et analphabètes, arrivés en France en 1948. C’est ma définition identitaire, mon logiciel établi à vie. Tout ce que j’ai accompli découle de lui. Je suis hanté par les thèmes de l’exil, l’identité, l’école, la connaissance et l’écriture. Ikra ! Lire, c’est mon crédo pour l’individu et l’humanité. Recherche, politique, littérature, tous mes accomplissements ont pris leur source dans ce vivier. Enfant, quand je fréquentais l’école française, j’ai vu mon père, Bouzid, le maçon, incapable de signer mon carnet de notes de son nom : il a dessiné une croix à la place. En classe, on s’est moqué de lui, « monsieur X », et de moi, « le fils du pauvre ». Ce genre de souvenirs marque une enfance au fer rouge.

Les quartiers populaires, où se concentrent les communautés immigrées, sont souvent montrés du doigt et associés à tous les maux de la société française. Où est la part du réel et celle du fantasme dans cette perception politico-médiatique ?

Dans ces cités périphériques, bâties dans les années 1960 et 1970, les immigrés et les ouvriers français ont été logés massivement pour répondre à la crise du logement. Tous les problèmes sont partis de là : l’urgence. La concentration de pauvretés et de vulnérabilités sociales dans un même lieu ont vite fait de ces territoires un volcan. C’est la même chose dans tous les pays du monde. Ajouter à cette concentration spatiale le racisme et les discriminations contre les Arabes et les musulmans, et vous réveillez le volcan à la moindre étincelle. Depuis les années 1970, les mêmes causes produisent les mêmes effets en France. Pauvreté dans les cités, conflits entre les jeunes et la police, dérapages, bavures, embrasement, morts, destructions, pillages… réactivation du racisme, du rejet, des provocations, fractures de la ville, etc. C’est une réalité sociale, urbaine et politique. À partir de 1975, quand les trente années de croissance économique se sont terminées avec le choc pétrolier, le chômage s’est installé durablement. Avec lui, les peurs, le racisme anti-algérien et anti-maghrébin. On a demandé aux familles immigrées de rentrer dans leurs pays d’origine, alors que les enfants étaient nés en France. L’imbroglio a commencé. Le grand malentendu. Les boucs-émissaires de la crise étaient tout trouvés. Le Front National est né. Depuis, il n’a cessé de progresser et, à mon avis, si ça continue ainsi, Marine Le Pen sera la prochaine présidente française. Elle aura le même succès que Giorgia Meloni, en Italie, et d’autres dirigeants d’extrême-droite dans de nombreux pays d’Europe où, de l’immigration, les locaux ne veulent plus. Le racisme ne se cache plus. Comme en Tunisie aussi, non ?! C’est dramatique. L’humanité se déshumanise sous nos yeux, en direct. En ajoutant au bilan le réchauffement climatique, on peut dire que le pire est à venir.

« Le vote obligatoire serait de nature à faire des émeutiers des électeurs ».

De mémoire, vous êtes le premier sociologue à avoir suggéré de « raser les tours d’immeubles », qui créent la ghettoïsation et la ségrégation urbaine. Selon vous, quel rôle le gouvernement devrait-il jouer pour favoriser la mixité sociale et spatiale dans les banlieues ?

Beaucoup de choses ont été réalisées dans ces cités depuis une trentaine d’années. Des milliards ont été investis pour favoriser la mixité sociale (rénovation du bâti, éducation, transports, équipements, bibliothèques, emploi, etc.). Mais la tendance générale est que ça ne marche pas. Hélas. Les gens ont de moins en moins le cœur à vivre ensemble ; ça devient trop difficile pour tous. Un ras-le-bol a gagné les populations, une immense lassitude. L’insécurité est partout. Les dernières émeutes urbaines ont montré des violences paroxystiques de groupes de jeunes prêts à aller « à la guerre » contre la police et tout détruire dans la ville comme dans un jeu vidéo. On a le sentiment qu’ils n’ont pas peur de mourir, comme s’ils n’avaient rien à perdre. Et c’est bien là un autre problème  de fond : des jeunes qui n’ont rien à perdre, parce qu’ils n’ont rien. Et peut-être même qu’ils ne veulent plus rien de la société. Au Maghreb, le phénomène des Harragas relève de cette logique sacrificielle.

Avec le recul, quelle analyse faites-vous justement des violentes émeutes qui ont suivi la mort du jeune franco-algérien Nahel, tué par un policier ?

Ce qui s’est passé avec Nahel s’est déjà produit des dizaines de fois auparavant. Mêmes causes, mêmes effets. Sauf que cette fois, le rôle des smartphones et des réseaux sociaux a salement accentué l’amplitude des émeutes et des peurs sur la ville. S’il n’y avait pas eu la vidéo cachée de l’arrestation et de la mort de Nahel tué par le policier, certainement que l’institution aurait caché la vérité. Cette version de l’accident a démultiplié les haines et les violences. Un policier sur deux en France est adhérent du Front National, c’est une menace pour la tranquillité sociale au pays de la fraternité. On ne peut pas être policier et raciste. Le racisme est un seum violent et incurable. Sa propagation sert l’extrême-droite. Mais peut-on imaginer une société sans policiers ? Il faut donc encore mieux les former aux nouvelles difficultés sans cesse croissantes dans l’exercice de leur métier. Pas d’autre issue.

L’une de vos propositions pour améliorer la situation dans ces zones urbaines défavorisés, c’est de rendre le vote obligatoire. Quels sont les objectifs d’une telle mesure et les mécanismes de sa mise en application ?

Oui. Depuis un demi-siècle, les Français issus de l’immigration dans les banlieues ne votent pas, ou très peu. Ils n’attendent rien de la société et des politiques. C’est là que le bât blesse. En politique, on peut donc leur cogner dessus sans crainte, à l’instar d’Éric Zemmour, puisque qu’il n’y a pas de sanction électorale de leur part. Près de chez moi, à Lyon, les taux d’abstention se situent entre 80 et 90% ! La démocratie est moribonde. Tout comme au Maghreb d’ailleurs. Le vote obligatoire serait de nature à faire des « émeutiers » actuels des « électeurs ». Ainsi, le regard porté sur eux serait complètement modifié. Et puis aller voter dans une urne pour la première fois quand on a 18 ans, ça ne s’oublie pas. Cela s’appelle devenir un citoyen.

Vous avez été ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Quels sont actuellement les défis majeurs à surmonter pour créer un environnement socio-économique plus inclusif ?

Je ne vais pas vous raconter d’histoires. La tendance actuelle est au grand repli et à l’exclusion. En rêve, il faudrait d’abord se débarrasser de l’économie de la drogue qui mine les cités comme à Marseille, où les différends se règlent à la Kalachnikov en pleine rue. Hélas, c’est impossible. Argent facile, mafias, gangs barbares, violences, assassinats… le fléau est trop profond, comme ailleurs dans le monde, et ce sont les plus vulnérables qui en pâtissent. Demandez à Pablo Escobar ! Le narcotrafiquant a été un grand influenceur des temps modernes. Son nom est un label. Néanmoins, pour les jeunes des banlieues, dès le plus jeune âge, puisqu’il faut nourrir l’espoir, je préconise l’apprentissage intensif des langues étrangères pour jouir d’une mobilité dans le monde, et non plus seulement en France. La mobilité est une grande ressource pour « dérouiller », aller exercer ailleurs ses talents. Mais elle fait encore peur, tel l’exil de nos parents.

En tant que fils d’immigrés d’origine algérienne, comment percevez-vous le débat sur l’immigration en France, systématiquement abordé par des thématiques stigmatisantes : assistanat, délinquance, communautarisme, islamisme voire terrorisme ?

Il se résume aujourd’hui à un constat : Ils ne veulent plus de nous… les Arabes, les musulmans et les Subsahariens, devenus les cibles préférées des racistes revigorés autour de Zemmour et consorts. Comme dit mon cousin, Ma y Habbounech ! (Ils ne nous aiment pas, ndlr). Et les NOUS ne font rien pour changer, se faire aimer. Nous sommes dans la spirale descendante des valeurs de respect, d’amitié et de solidarité. Impuissants. J’ai peur qu’il ne soit trop tard pour la fête de la fraternité en France. D’une manière globale, l’immigration est dans le collimateur de l’Europe, quand bien même les nations manquent cruellement de main d’œuvre dans certains secteurs comme le bâtiment, l’hôtellerie, la restauration, etc.

Concernant spécialement l’immigration algérienne en France, l’accord de 1968 est attaqué de partout par la droite et l’extrême-droite. Pensez-vous que sa dénonciation d’une façon unilatérale est une hypothèse plausible ?

Je pense que l’accord franco-algérien de 1968, qui a marqué une étape importante dans les relations entre les deux pays, ne va pas faire long feu. En politique, il n’y a pas de sentiments. Seul compte l’accès au trône. Si elle y arrive, Marine le Pen s’occupera en temps voulu de cet accord. Le parti LR (Les Républicains, ndlr) version Éric Ciotti gesticulera autour pour exister encore un peu. C’est tout ce que l’on verra.

Plutôt que de reculer d’un demi-siècle en arrière, ne pensez-vous pas qu’il serait plus constructif pour la France et l’Algérie de renforcer leur partenariat ?

Bien sûr, ça ne mange pas de pain, comme on dit. Mais à mon sens, l’avenir de la relation France-Algérie dépendra du développement des relations stratégiques des pays voisins, surtout celles que le Maroc nouera avec ses alliés. C’est le cas globalement avec toute l’Afrique du Nord, dont l’avenir se jouera sur un échiquier fragile et hautement sismique.

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