Dès le départ, Yassir a essayé d’« humaniser » l’ubérisation. En tout cas, c’est sa philosophie fondatrice en Algérie, qui se résume ainsi : offrir un prix attractif aux usagers tout en protégeant les partenaires, à travers une collaboration contractuelle leur garantissant un salaire décent et une couverture sociale suffisante.
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À l’image de ses cousins américains, les GAFAM and Co (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Amazon, X, etc.), qui font main basse sur le web mondial et le pharamineux business qu’il génère, avec des gains estimés en moyenne entre 350 et 3 000 euros par seconde selon la marque, Uber contrôle le game d’une nouvelle économie qu’il a inventée et normée. Son application de mise en contact direct entre des clients et des chauffeurs VTC, puis avec des livreurs de repas et de courses, a jeté les bases du phénomène de l’« ubérisation », qui s’est imposé depuis le début de la deuxième décennie du XXIe siècle comme un aspect incontournable de la mondialisation.
En 2023, la firme californienne a enregistré un bénéfice net de près d’un milliard de dollars (environ 900 millions d’euros). Autant dire qu’Uber écrase littéralement ses concurrents, souvent éphémères, car tout simplement achetés ou pacifiés par des fusions et des partenariats. Devant ce rouleau compresseur multinational, des petites startups jouent les David contre Goliath, néanmoins dans une lutte largement confinée géographiquement en Europe et, à une moindre échelle, en Afrique. Sur le marché français, Free Now, Heetch ou encore Bolt mènent la bataille des outsiders depuis plusieurs années. Mais, ils doivent désormais composer avec un nouvel arrivant : Yassir ! Le premier mérite de cette jeune entreprise, née à Alger en 2017, est d’être l’unique concurrent africain et arabe sérieux et viable d’Uber, qui a acquis son rival émirati Careem en 2020 pour capturer le marché de la région MENA où il était numéro un.
Yassir, l’Uber made Algeria
Yassir, un nom qui prend tout son sens en arabe puisqu’il signifie à la fois « rouler » et « facile », s’est donné l’objectif de « simplifier la vie » aux Algériens ; du moins sur le plan de la mobilité urbaine dans une première phase. Une application qui « répond à leur ras-le-bol contre les taxis », pour reprendre une expression du journal Le Monde, qui résume assez bien le contexte local de la naissance du service de ride-hailing DZ, dans un pays, et spécialement sa capitale, où ce ne sont pas les clients qui sont rois mais plutôt les incorrigibles « taxieurs » et les « clandestins », grands adeptes du fameux « ce n’est pas ma route », sans parler de leurs prix aussi exorbitants qu’arbitraires. La raison d’être de Yassir était donc plus que justifiée, le besoin était réel. Pour la petite histoire, même si certains utilisent désormais eux-mêmes l’appli, les taxis aimeraient prendre une revanche sur Yassir. Le Syndicat national des transporteurs par taxi (SNTT) a annoncé, le 30 novembre dernier, son intention de porter plainte contre la startup en l’accusant d’« enfreindre la loi relative au transport ».
Pour le principe de fonctionnement, l’« Uber algérien » n’avait pas à réinventer la roue : mettre en relation des chauffeurs privés et des passagers, avec un smartphone comme seul médiateur. À partir du modèle de base d’Uber, le fondateur de Yassir, Noureddine Tayebi, qui a fait ses preuves à Palo Alto avant de rentrer à Alger pour lancer le projet de sa vie, a voulu développer une « application 100% algérienne ». Épaulé d’une équipe de 4 ingénieurs locaux, purs produits comme lui de l’École nationale polytechnique d’Alger, dont le cofondateur Mahdi Yettou, il a réussi son défi, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan humain. « Il y a un processus très rigoureux pour choisir les chauffeurs. On vérifie leur casier judiciaire, leur formation, leur éducation. Il y a même une évaluation psychologique réalisée pour valider leur candidature », a-t-il expliqué à l’AFP en 2022, année où la startup a récolté 150 millions de dollars en une seule levée de fonds (environ 135 millions d’euros).
L’ubérisation à visage humain de Yassir
Dès le départ, Yassir a essayé d’« humaniser » l’ubérisation. En tout cas, c’est sa philosophie fondatrice en Algérie, qui se résume ainsi : offrir un prix attractif aux usagers tout en protégeant les partenaires, à travers une collaboration contractuelle leur garantissant un salaire décent et une couverture sociale suffisante. Ce qui a été rendu possible grâce à ses liens privilégiés avec divers services de l’Etat, sociaux et fiscaux. Le gouvernement algérien semble être satisfait du fonctionnement de l’entreprise et, surtout, de sa stratégie de développement à l’international. Lors de la 1ère édition de la « Médaille d’honneur de l’exportation », organisée en juillet 2023 par la Présidence de la République, Yassir a remporté le prix du « meilleur exportateur de services ». Selon l’agence officielle APS, la société a réalisé des exportations d’une valeur de 18,7 millions de dollars (environ 16,8 millions d’euros), entre 2020 et 2022, et envisage d’atteindre, d’ici 2029, 150 millions de dollars (environ 135 millions d’euros). Une vraie aubaine pour l’économie du pays !
Et pour cause, en l’espace de 6 ans d’existence seulement, Yassir est devenu une super app qui n’a rien à envier à Uber, ayant diversifié sa gamme de services à la demande pour se déplacer, manger, faire les courses et effectuer des opérations financières. Ses offres s’adressent aux particuliers et aux entreprises. Son patron, diplômé de doctorat de l’université de Stanford au cœur de la Silicon Valley, n’a vraiment pas froid aux yeux et ne se fixe aucune limite. « Nous sommes très ambitieux. Le but est de créer la plus grande entreprise de technologies, pas seulement en Afrique mais au monde », a-t-il confié à l’AFP. Cette assurance qui frôle l’insolence voire l’arrogance, rare qu’elle est pour ne pas dire inexistante chez les talents africains faisant le choix généralement inconfortable d’entreprendre dans leur pays d’origine, ne pouvait qu’être appréciée par les loups de la finance portés sur le high-tech. Séduisant de grands investisseurs internationaux, dont BOND, YCombinator, Unpopular Ventures, wndrCo, etc., Yassir a levé près de 200 millions de dollars (environ 183 millions d’euros) depuis sa création. Cette bonne santé financière lui a servi à développer son activité et à s’implanter dans les gros marchés africains, ainsi qu’en Europe et au Canada. La startup tende à devenir une fleurissante multinationale. En 2022, elle employait 600 ingénieurs, avec une croissance permanente du nombre des recrutements. L’objectif annoncé par ses dirigeants est d’atteindre au moins le triple dans la prochaine décennie, répartis sur une dizaine de bureaux dans le monde.
Intérêt particulier de Yassir pour le marché français
Aujourd’hui, Yassir représente plus de 8 millions d’utilisateurs et plus de 100 000 partenaires (chauffeurs, livreurs et commerçants), répartis sur 8 pays et quelques 50 villes. L’« Uber DZ » a fait son entrée sur la marché français, en janvier 2022, d’une manière assez discrète, le temps de prendre ses marques sans exposition médiatique. Le bouche à oreille lui a permis de tester ses services VTC, de livraison et d’intermédiation bancaire, notamment auprès de la communauté algérienne et maghrébine en général. Mais depuis l’été dernier, l’entreprise accélère son expansion en France.
Dans ce cadre, elle a fait un gros coup marketing en signant un partenariat global de sponsoring avec le PSG. « Nous sommes convaincus que notre alliance avec le Paris Saint-Germain, un club français devenu une marque planétaire, nous permettra d’étendre notre terrain de jeu et d’investir d’autres marchés régionaux, continentaux et mondiaux. Nous sommes impatients de faire vivre à nos fidèles clients une expérience unique aux couleurs du Paris Saint-Germain », a déclaré le fondateur Noureddine Tayebi, en août 2023, au moment de la signature du contrat. Ce dernier est d’une valeur de 15 millions d’euros, répartis sur trois ans. La firme algéroise, dont le capital de départ ne dépassait pas 10 000 dollars (environ 9000 euros), se montre ainsi généreuse pour séduire Paris et l’Hexagone. Interviewé par Forbes à ce sujet, Tayebi confirme avoir de « grandes ambitions » sur le marché français, où « nous sommes déjà actifs ». « Nous avons aussi l’intention d’annoncer, très bientôt, une nouvelle gamme de services qui sera disponible sur l’ensemble du territoire français », a-t-il ajouté.
Continuant dans sa lancée, Yassir a annoncé sa participation à la reprise de Flink France, filiale d’une plateforme allemande de livraison rapide à domicile, après qu’elle ait été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris, en juin 2023. Le projet de reprise, présenté par Noureddine Tayebi, PDG de Yassir, Guillaume Luscan, directeur de Flink France, et la maison mère de Flink, a été validé, le 12 septembre, pour un prix d’acquisition de 500 000 euros. Par ailleurs, la startup algérienne s’est engagée à investir 5 millions d’euros pour pouvoir sauvegarder 56 % des emplois, soit 270 personnes. Autant dire qu’elle a tout compris de comment faire bonne impression dans l’environnement des affaires chez les éternels Gaulois réfractaires.
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