En juillet 2022, un mois après le dernier sommet des pays membres organisé en Chine et auquel il a été convié, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, déclarait que l’« adhésion au groupe BRICS est tributaire de conditions économiques auxquelles l’Algérie satisfait en grande partie ». Trois mois plus tard, le 7 novembre, l’Algérie a déposé officiellement sa demande d’adhésion aux BRICS. Depuis, le pays a lancé une grande offensive diplomatique pour défendre son dossier de candidature. Tout se joue maintenant, à deux semaines du prochain sommet des BRICS.
Quels pays soutiennent l’adhésion de l’Algérie aux BRICS ?
Le président Tebboune était en Russie, du 13 au 16 juin, faisant fi de l’isolement international de Vladimir Poutine, honni par les Occidentaux suite à l’invasion de l’Ukraine. « Au milieu d’une conjoncture internationale très agitée, l’Algérie veut accélérer son entrée dans le groupe des BRICS et sortir de l’hégémonie de l’euro et du dollar », a déclaré le chef d’Etat algérien lors de sa rencontre avec son homologue russe.
Cette visite, très commentée, est venue confirmer un soutien russe acquis depuis plusieurs mois déjà. L’Algérie, « par toutes ses qualités, figure parmi les leaders des prétendants », à une intégration aux BRICS, expliquait déjà le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le 2 février dernier. Une position confirmée par la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, qui déclarait lors d’une audience au siège de la présidence algérienne en mars 2023, que la Russie soutenait la démarche algérienne.
Après son déplacement en Russie, Tebboune s’est rendu en Chine, le 18 juillet, pour une visite d’Etat de cinq jours, la première d’un président algérien depuis quinze ans. Accompagné d’une importante délégation ministérielle, il a plaidé pour une intégration de l’Algérie au sein des BRICS et a obtenu une confirmation du soutien chinois. L’Algérie est un « grand pays en développement » et un « représentant des économies émergentes », estimait déjà le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, suite à l’annonce de la candidature algérienne.
Pourquoi l’Algérie veut rejoindre les BRICS ?
Au même titre que de nombreux autres pays qui ont exprimé leur volonté de rejoindre les BRICS (Indonésie, Argentine, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Turquie, Iran, Éthiopie, Bangladesh, etc.), l’Algérie s’intéresse aux opportunités économiques et géostratégiques offertes par cette puissante organisation.
En effet, si pour certains observateurs une adhésion de l’Algérie aux BRICS n’est pas vue d’un bon œil à cause du manque d’intégration économique entre les Etats membres, pour les officiels algériens elle serait synonyme d’un grand pas en avant pour l’économie et la diplomatie du pays. Avec 31,5% du PIB mondial et plus de 40% de la population mondiale en 2023, les BRICS ont acquis une importance économique et démographique stratégique sur le plan international. Pour l’Algérie, rejoindre une telle organisation permettrait d’élargir grandement sa coopération avec les pays membres et renforcer ainsi son positionnement économique et géopolitique à travers un ensemble de pays qui, selon les estimations, devrait contribuer à 40% de l’économie mondiale d’ici 2025.
L’Algérie pourrait, en outre, profiter des transferts de technologie, avec la Chine et l’Inde notamment, et renforcer les partenariats déjà existants. Sur le volet financier, les BRICS pourraient offrir une nouvelle capacité d’emprunt alors que l’organisation souhaite développer sa banque, NDB (New Development Bank ou Nouvelle banque de développement), pour en faire un système de financement alternatif aux taux attractifs comparés à ceux proposés par les institutions internationales déjà existantes comme la Banque Mondiale ou le Fonds monétaire international. « Notre pays a demandé à intégrer cet organisme financier des BRICS », a annoncé Abdelmadjid Tebboune, lors de sa visite en Chine. Le pays souhaite figurer parmi les actionnaires et promet une première contribution d’un milliard et demi de dollars.
Les BRICS, un symbole du réveil diplomatique de l’Algérie ?
Après un long sommeil diplomatique dû aux dernières années de l’ère Bouteflika, l’Algérie souhaite regagner une place sur la scène internationale. Pour cela, elle privilégie une géopolitique multipolaire visant à ne pas tomber sous une quelconque domination. Une adhésion aux BRICS mettrait le pays « pionnier du non-alignement, à l’abri des tiraillements entre les deux pôles », expliquait le président Tebboune, en août 2022. Une intégration de l’Algérie et un élargissement des BRICS s’inscriraient dans une nouvelle reconfiguration des relations internationales et de la gouvernance mondiale, alors que plusieurs pays privilégient désormais le multilatéralisme.
Ces dernières années, les deux plus importants membres se sont d’ailleurs largement tournés vers l’Afrique : par une présence militaire à travers les milices Wagner pour la Russie et via le mégaprojet des « Routes de la soie » pour la Chine, qui contribue activement à la construction d’infrastructures dans plusieurs pays africains. D’ailleurs, l’Algérie a intégré le projet chinois, en 2018, et les relations économiques avec l’Empire du Milieu supplantent, depuis quelques années, celles avec les pays occidentaux, notamment la France et l’Union européenne (UE).
Depuis 2013, la Chine est le premier fournisseur de l’Algérie avec une moyenne de 7 milliards de dollars d’exportation annuelle vers le pays. Les deux Etats ont signé un premier plan de coopération bilatérale en 2014. Ce partenariat a été renouvelé en 2022, via un nouveau plan quinquennal de coopération stratégique globale allant jusqu’à 2026 et couvrant plusieurs domaines. La présidence algérienne a annoncé, le 20 juillet dernier, que la Chine promet d’investir 36 milliards de dollars dans le pays. Cet énorme investissement concerne les secteurs de l’industrie, de l’agriculture, des transports, des technologies modernes et de l’économie du savoir.
Quelles sont les chances pour l’Algérie de rejoindre les BRICS ?
Le prochain sommet des BRICS, qui aura lieu à Johannesburg, du 22 au 24 août, sera décisif pour l’adhésion de l’Algérie. Il sera principalement tourné vers la question de l’ouverture de l’organisation à de nouveaux membres et de discussions autour des solutions alternatives à l’utilisation du dollar dans les échanges commerciaux internationaux. À ce propos, l’Afrique du Sud, pays qui accueille ce rendez-vous historique, et la Russie ont, d’ores et déjà, annoncé que le sommet se tiendra sans la présence physique du président Poutine. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la Cour Pénale internationale, le patron du Kremlin prendra part virtuellement à la réunion.
Celui-ci et le président chinois, Xi Jinping, parrainent avec beaucoup de volontarisme l’adhésion de l’Algérie aux BRICS. Toutefois, c’est loin d’être encore acquis. Les critères de sélection des nouveaux adhérents n’ont pas encore été posés par les cinq membres actuels de l’organisation et l’économie algérienne traîne toujours des lacunes structurelles. Malgré les déclarations de Tebboune qui soutient que le pays « satisfait en grande partie » aux conditions économiques d’adhésion, il souffre d’un faible niveau d’industrialisation, d’un système financier archaïque et d’une économie peu diversifiée et hyper dépendante aux hydrocarbures. Avec un PIB de 174,2 milliards de dollars en 2021, selon les chiffres de la Banque mondiale, elle reste loin derrière le seul pays africain de l’organisation, l’Afrique du Sud, dont le PIB s’élevait à 353,26 milliards la même année.
En dépit de ses lacunes, le plus grand pays d’Afrique se distingue par son faible niveau d’endettement extérieur, une économie résiliente grâce à ses réserves de change et un indice de développement humain parmi les plus élevés du continent. Le pays dispose également d’une position géographique et géopolitique de choix dans le bassin méditerranéen. C’est à la fois la porte de l’Europe et de l’Afrique.
Par ailleurs, avec le retour de l’africophile Lula Da Silva à la tête du Brésil et la prise de la présidence annuelle des BRICS par l’Afrique du Sud, son allié historique, l’Algérie dispose finalement de pas mal de cartes qui peuvent jouer en faveur de son intégration dans l’organisation. Il ne resterait qu’à convaincre l’Inde ! Dans ce sens, l’ambassadeur de ce pays en Algérie, Gaurav Ahwalia, a été reçu, le 2 août dernier, par le ministre des Finances, Laaziz Faid, l’occasion de « revenir sur la demande exprimée par l’Algérie pour son adhésion à la NDB ». Il a été aussi question pour le responsable algérien, précise son service de presse à travers un communiqué, d’indiquer à son interlocuteur que l’Algérie « compte sur l’appui de l’Inde pour une concrétisation diligente de cette adhésion et ce, conformément à la tradition qui a toujours marqué les relations bilatérales en matière d’appuis mutuels au niveau des instances multilatérales ».
Aujourd’hui encore, le 6 août, c’est au tour du chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf, de recevoir l’ensemble des cinq ambassadeurs des pays des BRICS en Algérie : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud.
Quelles relations avec la France en cas d’adhésion de l’Algérie aux BRICS ?
Une adhésion aux BRICS marquerait un nouveau rapprochement de l’Algérie avec l’axe sino-russe. Une démarche qui ne semble pas être perçue favorablement par ses partenaires occidentaux à leur tête la France, dont les intérêts algériens sont déjà émiettés petit à petit par la présence des Chinois et des Russes. Alors que ses relations avec son ancienne colonie traversent une zone de turbulences depuis quelques mois, la France voit aussi sa présence militaire en Afrique décriée et son influence dénoncée sur le continent.
Dans ce contexte, l’ex-puissance coloniale tente, tant bien que mal, de « reconquérir » les esprits et les cœurs africains ! En février dernier, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé une réduction des effectifs militaires en Afrique. Et depuis, il a enchaîné les déclarations visant à rassurer ses partenaires. En vain. Il vient de perdre encore un précieux allié, suite au récent coup d’État au Niger. De même, la visite du président algérien à Paris, qui devait avoir lieu au mois de mai, puis en juin, n’est toujours pas programmée bien que maintenue.
Paradoxalement, les BRICS intéressent la France qui y voit un moyen de rapprochement avec le continent. Le pays a fait part du souhait de son président d’assister au prochain sommet sud-africain. « La participation du président Macron, si elle devait avoir lieu, constituerait une première dans les pratiques adoptées jusqu’ici aux sommets des BRICS », a répondu Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères. Selon elle, la décision d’inviter ou non la France à participer au sommet des pays dits émergents reviendra au premier responsable du pays hôte, en l’occurrence le président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa. Pour l’instant aucune annonce n’a été faite à ce sujet.
L’Algérie aux BRICS sera-t-il du goût des Etats-Unis et de l’UE ?
Déjà, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les Etats-Unis et l’UE désapprouvent la position de l’Algérie. Le pays a refusé, maintes fois, de condamner la Russie lors des votes à l’Assemblée générale de l’ONU car il ne veut pas compromettre ses relations avec son principal fournisseur en armes. Cette coopération militaire a été spécifiquement reprochée à la diplomatie algérienne.
27 parlementaires américains (républicains et démocrates) ont appelé, en septembre 2022, à sanctionner le pays en vertu de la « Countering America’s Adversaries through Sanctions Act » (une loi américaine qui régit les sanctions internationales imposées aux adversaires des Etats-Unis, ndlr). En novembre de la même année, 17 députés du parlement européen réclamèrent également la révision de l’Accord d’association entre l’UE et l’Algérie, signé en 2002 et entré en application en 2005. Ils accusent l’Algérie de soutenir politiquement et financièrement la Russie en étant « parmi les quatre premiers acheteurs d’armes russes dans le monde ».
Outre l’armement, le pays, l’un des principaux importateurs de blé au monde, s’est tourné il y a quelques années vers l’importation du blé russe au détriment du blé européen, notamment français, en multipliant par quatre ses achats depuis la Russie avec 1,3 million de tonnes importées en 2022 contre 330 000 tonnes en 2021. Cependant, les nouvelles tensions géopolitiques dans le monde et en Afrique poussent la France, l’UE et les USA à reconsidérer leur relation avec les pays dits du Sud, l’Algérie en premier. L’objectif est d’essayer de les soustraire à l’influence sino-russe.
Les Américains, par exemple, sont en constante perte de vitesse en Afrique, avec des « échanges commerciaux qui sont passés de 142 milliards de dollars en 2008 à 64 milliards de dollars en 2021 », selon l’économiste algérien Abderrahmane Mebtoul. Conscients qu’ils sont en train de quitter ce terrain stratégique, ils ont organisé le sommet États-Unis/Afrique, en décembre 2022, auquel le président Tebboune n’a pas assisté, préférant déléguer la tâche à son Premier ministre, Aïmene Abderrahmane. À son issue, le président Joe Biden a annoncé « plus de 15 milliards de dollars d’engagements, d’accords et de partenariats bilatéraux en matière de commerce et d’investissement en Afrique ». Il a, en plus, plaidé pour l’intégration de l’Union africaine (UA) comme membre permanent du G20 et annoncé vouloir appuyer l’intégration de pays africains à des postes permanents au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
Concernant l’éventuelle adhésion de l’Algérie aux BRICS précisément, la Maison-Blanche a exprimé plusieurs fois l’idée que les États-Unis « considèrent l’Algérie comme un partenaire » et qu’ils « ne font pas obstacle » aux choix souverains de leurs partenaires.
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