Les trésors de l’architecture algérienne en exposition à Roubaix

Mosquée El Mansourah Tlemcen
Au cœur de l'effervescence culturelle de Roubaix, l’une des villes les plus multiculturelles et cosmopolites du nord de la France, une exposition itinérante captive les habitants et les visiteurs depuis plusieurs mois.

Intitulée « Regards féminins sur l’architecture d’Algérie », cette œuvre met en lumière la richesse et la diversité architecturales de ce pays à travers le prisme de trois femmes photographes. L’exposition, organisée dans le cadre de « l’année thématique de la ville de Roubaix » qui est évènement socio-culturel annuel dédié en 2023 à l’architecture du monde, offre une plongée fascinante dans l’histoire architecturale de l’Algérie. « Je voulais montrer cet aspect de la culture algérienne dans un esprit de partage, de découverte et de sensibilisation à la richesse de l’architecture du pays », explique Nassira Seddi*, commissaire de l’exposition.

Ayant choisi la perspective féminine, voire « un peu féministe sur les bords », comme approche artistique, elle déclare vouloir « mettre en avant l’engagement des femmes algériennes dans tous les domaines y compris dans la promotion et la sauvegarde du patrimoine architectural du pays, dont une bonne partie est classée patrimoine mondial protégé par l’UNESCO ».

L’architecture algérienne à travers un triple objectif photo féminin !

En effet, l’exposition est composée d’une sélection de photos prises par trois photographes algériennes, issues de régions et de cultures différentes : Souad Chatta, Amal Dekar et Marthe Leus. « Ce choix a donné des regards singuliers sur les trésors architecturaux d’Algérie. Chacune apporte sa touche personnelle, transcendant les époques et les styles, mais elles se retrouvent toutes dans un combat de longue haleine pour défendre notre patrimoine architectural. Notre démarche est simple, c’est de montrer ce qu’on a, non seulement aux roubaisiens mais au monde entier, afin de mieux le valoriser et de le protéger », précise notre interlocutrice.

Souad Chatta, professeure d’université à la retraite reconvertie dans la photographie, transporte les spectateurs au sud du pays à travers ses photos empreintes de la vie quotidienne. « Elle a fourni beaucoup d’efforts personnels pour enrichir l’exposition. Ses photos replacent les bâtiments pris en photo dans le contexte de la vie quotidienne des habitants, notamment dans les régions du Grand Sud », souligne Mme Seddi, elle-même native de Bou Saâda, la belle « porte du désert » algérien. De Ghardaïa à Tipaza en passant par la Casbah, Souad saisit les interactions à l’instantanée entre les structures architecturales et les populations locales.

Quant à Amal Dekar, photographe professionnelle, elle nous transporte dans des lieux emblématiques tels que les mosquées d’El Mansourah et de Sidi Boumediene à Tlemcen (ouest d’Algérie) et nous « invite à explorer l’ère coloniale et néo-mauresque d’Alger à travers son objectif expert ». En plus de la blancheur de la Casbah et des bâtiments haussmanniens, à qui elle a donné belle allure sous le soleil du sud de la Méditerranée, la capitale algérienne a été, apprend-t-on, l’un des premiers terrains d’expérience de l’architecture « mauresque modernisée » avant que celle-ci s’internationalise !

De son côté, Marthe Leus, artiste plasticienne et photographe amatrice, expose au public à travers son travail sa « relation intime avec son pays d’adoption », l’Algérie. Elle le fait, d’abord, en tant qu’habitante de Djelfa (à 300 km au sud d’Alger), où elle réside depuis plus de 40 ans. La photographe d’origine belge, qui documente depuis des décennies les édifices historiques algériens, nous fait visiter les magnifiques médinas, ksours, mosquées et mausolées ancestraux qu’on retrouve essentiellement dans le sud du pays : Béchar, Djanet, etc.

 « Ces monuments reflètent la diversité des styles architecturaux de l’Algérie, comme sa culture, qui ont traversé l’histoire et se sont adaptés à la géographie d’un pays-continent », lance la commissaire de l’expo. Et d’ajouter, avec un trait d’ironie : « La nation algérienne existait bel et bien avant la période coloniale, comme le prouvent ses magnifiques bâtisses qui remontent à différentes époques : berbère, romaine et islamique ».

Raconter l’Algérie à travers son architecture      

Nassira Seddi présente l’exposition à un groupe de visiteurs (Avant-Poste, Roubaix, 16/05/2023).
Nassira Seddi présente l’exposition à un groupe de visiteurs (Avant-Poste, Roubaix, 16/05/2023).

Cette exposition garantit d’enchanter à la fois les visiteurs français, algériens et internationaux. Nassira, qui accompagne régulièrement les groupes de visiteurs avec une médiation ajustée selon leur profil et le lieu d’exposition, indique que « les photos exposées, malgré la difficulté qu’il y avait à les sélectionner parmi tant d’autres, offrent une perspective nouvelle sur l’Algérie en montrant des aspects architecturaux pas ou peu connus par le grand public ». Elle insiste sur l’importance de faire sortir les gens d’une bulle à vision limitée géographiquement concernant ces trésors. « À cause de leur méconnaissance de la richesse de l’architecture algérienne, les touristes étrangers se contentent majoritairement d’aller dans les grandes villes et les célèbres oasis du Sahara, tandis que les citoyens d’origine algérienne préfèrent souvent se rendre dans les régions d’où ils sont issus. Or, notre expo leur montre des faces de l’Algérie qu’ils ne connaissent pas forcément. Je suis fière de ça », se réjouit-elle.

Au-delà de la géographie, l’exposition est un véritable voyage émotionnel à travers l’histoire de l’Algérie, avec des photographies de bâtiments qui racontent des récits instructifs restituant singulièrement la période coloniale. Ainsi, on apprend par exemple que l’immeuble-pont Burdeau à Alger Centre, construit en 1952 et l’un des derniers importants bâtiments coloniaux édifiés avant l’indépendance, possède une réplique identique à Rio de Janeiro (Brésil).

Loin d’Alger, et de ses influences architecturales coloniales incarnées surtout dans les bâtiments haussmanniens et néo-moresques, des œuvres faites par des mains autochtones algériennes sont également à « admirer, tant elles sont simples et se fondent dans l’environnement à l’instar de ces maisons, mosquées et mausolées construites de terre rouge et de troncs de palmiers. Une ville comme Ghardaïa, qui a inspiré beaucoup d’architectes et d’artistes, est en soi un cas d’école pour le style minimaliste et écologique ».

Nassira Seddi avoue que certaines petites histoires des beautés architecturales sont un prétexte pour évoquer la grande Histoire de l’Algérie, liée à la colonisation française. Dans ce sillage a été présentée la mosquée El-Safah de Laghouat (à 400 km au sud d’Alger). « Cette ville a été rasée par l’armée française pendant la conquête à cause de la résistance qui lui a été opposée par la population, mentionne-t-elle. Puis, dans une volonté de la reconstruire, plusieurs architectes se sont manifestés dont l’italien Giacomo Molinari. Celui-ci va construire la mosquée El-Safah, en 1874, avec des allures gotiques. Lui-même s’est finalement converti à l’islam, il s’est marié avec une femme arabe et il est resté définitivement en Algérie ».

Où voir l’exposition ? « Regards féminins sur l’architecture d’Algérie » est une opportunité rare de découvrir et de redécouvrir la beauté et la diversité de l’architecture algérienne. L’exposition est à visiter gratuitement au niveau de la Maison des associations de Roubaix, jusqu’au 11 août. Ensuite, elle déménagera au Centre social des Trois villes (à Hem, entre Roubaix et Villeneuve-d’Ascq), à partir du 18 septembre prochain. Elle terminera sa tournée nordique au Centre communal d’action sociale de Roubaix, qui va l’accueillir durant tous le mois d’octobre 2023. « Grâce à cette exposition, qui dure depuis le mois d’avril dernier, j’ai pu rencontrer des visiteurs de nationalités et de profils divers, chacun avec ses sensibilités. Mais au final, elle fait rappeler à tout le monde, spécialement aux Algériens et aux Français, des histoires de vie, leurs vies. Elle crée du lien social car les gens se parlent entre eux, évoquent leurs souvenirs et passent des bons moments », promet notre hôte. Et de conclure : « Ils sont unanimes à dire qu’ils ont envie de partir en Algérie voir de leurs propres yeux ses merveilles architecturales ». Êtes-vous tentés aussi ?!       

* Nassira Seddi est née à Bou Saâda, avant de s’installer à Lille en 1997. Elle est maman de trois enfants. Psychopédagogue en Algérie, elle prépara un master en ingénierie de la formation une fois arrivée en France. Elle s’est orientée, ensuite, vers l’art et l’artisanat du monde, avec un focus sur l’Algérie, domaine où elle est cheffe d’entreprise depuis 2006. Elle a fondé et gère Caravanserail, une boutique d’art et d’artisanat basée actuellement à Roubaix.

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