Algérie : Les migrants clandestins affluent depuis le Niger malgré leur soutien au coup d’Etat

Migrants issus du Niger en Algérie
Les retombées du coup d’Etat militaire qui a renversé le président nigérien, Mohamed Bazoum, le 26 juillet dernier, se font de plus en plus ressentir au niveau des frontières avec l’Algérie, particulièrement dans la ville de Tamanrasset (1 900 km au sud d’Alger), où l’on a remarqué un flux important de migrants issus du Niger.

On les croise partout dans cette municipalité du Grand Sud algérien, qui s’affirme comme ville charnière entre l’Afrique subsaharienne et les pays de la Méditerranée. La capitale de l’Ahaggar se propose ainsi de devenir une destination de transit pour les Nigériens désirant remonter vers l’Europe. « Les conditions de vie ne sont plus réunies au Niger, particulièrement après le dernier putsch et les restrictions économiques imposées au pays », déplore Boubakar Hassan Mustapha, un jeune nigérien rencontré dans une supérette à la cité Guetaâ El Oued, non loin du centre-ville de Tamanrasset, où il travaille comme manutentionnaire depuis un peu plus d’un mois.

Les routes de l’exil commencent par l’Algérie

Âgé d’à peine 26 ans, Boubakar a choisi la voie de l’exil pour nourrir une famille de cinq membres, dont sa femme qui est à son 5e mois de grossesse. Évoquant leur « avenir désormais incertain », sa voix empreinte de tristesse convenait bien à un sujet dramatique résumant l’odyssée de ce jeune qui rêve de regagner un jour l’antique Kanem-Bornou et revoir ses enfants grandir dans de meilleures conditions sociales. Il admet que cette perspective peut sembler utopique, mais il garde toujours l’espoir qui lui donne la force de survivre. Chaque fois qu’il croise un compatriote, il se remémore la déchirante scène de son départ et de son aventure dans le Ténéré du Niger, sa façon de se réconforter et de se rappeler la promesse faite à sa femme ainsi qu’à son bébé non encore mis au monde : « ne pas rentrer bredouille au pays ».

Cependant, le retour au bercail dépend également de la stabilité sécuritaire qu’il souhaite voir s’établir au Niger. Bien qu’il évite de discuter ouvertement de la situation politique qui prévaut dans son pays, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, désormais au pouvoir, est sur le bout de sa langue, signifiant implicitement son soutien. Fatimata Tassou défend la même opinion, soutenant le processus de transition pour « en finir avec le néocolonialisme et le paternalisme français ».

Pour cette jeune migrante que nous avions croisée à la braderie de Tafsit, flanquée de sa marmaille, « l’heure a sonné pour les Nigériens pour qu’ils retrouvent leur véritable indépendance ». Son point de vue est partagé par de nombreux migrants nigériens qui, faute de pouvoir atteindre l’Europe, préfèrent s’installer à Tamanrasset où ils ont élu domicile et occupent les chantiers de travaux publics et de construction. Fatimata exprime sa frustration envers la difficulté dans un pays riche en ressources tout en étant pauvre. Elle en profite également pour rendre hommage à tous ceux qui ont perdu l’âme dans le désert du Niger en tentant de rejoindre l’Algérie.

Beaucoup de migrants clandestins subsahariens, dont des Nigériens débarqués récemment, travaillent dans les chantiers de Tamanrasset.
Beaucoup de migrants clandestins subsahariens, dont des Nigériens débarqués récemment, travaillent dans les chantiers de Tamanrasset (crédit photo : R.K.)

Le taux de la pauvreté s’élève à 44% ! 

« Dame nature a gâté le Niger en matière de ressources naturelles, malheureusement ses richesses ne profitent pas à sa population, ce qui constitue un véritable paradoxe ! », estime Seifeddine Telli, professeur à l’université de Tamanrasset. Pour étayer ses propos, le directeur du laboratoire scientifique « Défis de l’investissement et du développement durable dans les zones frontalières » fait remarquer que le taux de croissance économique est « structurellement faible » au regard de la croissance démographique du pays. Avec une population estimée à 22,3 millions d’habitants en 2019, la croissance du PIB par habitant est de 1,9%. Selon le dernier classement du développement humain du PNUD, le Niger arrive en dernière position du classement mondial avec un indice de développement humain évalué à 0,377.

Notre interlocuteur ajoute que les indicateurs sociaux sont également très bas. Par exemple, la durée moyenne de scolarisation est de 2 ans et près de 45% des enfants sont malnutris. Seuls 17% de la population aurait accès à l’électricité, un taux estimé à 1% en zones rurales, et moins de 45% ont accès à l’eau potable. La prévalence de la pauvreté est assez forte, atteignant un taux de 44%.

Pourtant, le Niger est classé 4e producteur mondial de l’uranium avec une part de marché d’environ 7%. De plus, la production de pétrole du pays pourrait être portée jusqu’à 100 000 b/j, voire 110 000 b/j, alors que la consommation interne est estimée à 7 000 b/j. Quant à l’exploitation aurifère, en pleine expansion, elle devrait aussi contribuer à diversifier les recettes d’exportation et pourrait même dépasser l’uranium dans quelques années.

Seifeddine Telli, professeur à l’université de Tamanrasset et directeur du laboratoire scientifique « Défis de l’investissement et du développement durable dans les zones frontalières »
Seifeddine Telli, professeur à l’université de Tamanrasset et directeur du laboratoire scientifique « Défis de l’investissement et du développement durable dans les zones frontalières » (crédit photo : R.K.)

Environnement sociopolitique propice aux passeurs !

Malgré ce grand potentiel de développement, le chercheur algérien souligne que l’« environnement sociopolitique du Niger demeure fragile, avec des tensions sociales persistantes ». Le coup d’Etat, explique-t-il, a exacerbé les mouvements migratoires en direction de l’Algérie. Cette situation évolue dans un contexte sécuritaire préoccupant. D’où les mesures prises par Alger pour le renforcement de la sécurité aux frontières.

Mohamed Bekaï, caravanier et ancien commerçant du troc, nous confirme la donne en fournissant une analyse peu reluisante sur le pays voisin, qui vit depuis juillet dernier une situation d’instabilité favorisant toutes sortes de fléaux sociaux, particulièrement la corruption et le trafic des êtres humains. « Depuis cette crise, le nombre de passeurs a considérablement augmenté. De plus en plus de Nigériens cherchent à quitter leur pays. Certains choisissent de passer par la Libye, tandis que d’autres, voire la majorité d’entre eux, optent pour l’Algérie. Ce qui n’est pas sans susciter des préoccupations quant aux droits des migrants et leur traitement. Il faut reconnaître que la détérioration de la situation sécuritaire, les fluctuations des prix de matières premières et le fort sentiment anti-français sont pour beaucoup dans la crise qui secoue ce pays, qui est en plein effervescence », analyse-t-il.

Il convient de rappeler qu’au cours d’une entrevue accordée au Média par le président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel, Seidik Abba, il a été clairement expliqué que « la colère qui s’exprime aujourd’hui dans les rues de Niamey ne peut être considérée comme épidermique. Le sentiment de rejet vient de loin et le récent comportement de la France a réveillé une impression de paternalisme et d’arrogance coloniale ».

Plusieurs migrants issus du Niger, ayant fui la situation politique, se retrouvent sans travail et sans logement.
Plusieurs migrants issus du Niger, ayant fui la situation politique de leur pays, se retrouvent sans travail et sans logement (crédit photo : R.K.)

Soutien à la junte militaire malgré le choix de fuir le pays  

De nombreux ressortissants nigériens en Algérie partagent cette réflexion qui s’inscrit dans « le choix d’un peuple toujours en quête d’indépendance »,comme l’exprime Brahim Amadou, un jeune intellectuel qui a embrassé la profession de vendeur de Maynama, une spécialité de viande grillée à la braise, dans le quartier huppé de Sersouf à Tamanrasset. Dans une ambiance à la fois joyeuse et nostalgique pour sa patrie, Brahim dresse un tableau sombre de la situation économique au Niger, soulignant le rôle essentiel de son pays dans le développement de la puissance nucléaire de la France. « 15% de l’uranium nécessaire aux centrales françaises provient encore de notre pays. Cependant, l’aspect caché de cette situation réside dans le fait que 85% de nigériens n’ont toujours pas accès à l’électricité et seulement 12% de la valeur de l’uranium exporté est revenu à l’État nigérien. C’est inconcevable ! », s’exclame-t-il. Il dénonce, tout comme ses autres compatriotes, une « forme de colonialisme » qui exacerbe davantage les tensions dans les relations entre le Niamey et Paris. Et ils entretiennent l’espoir que le nouveau régime change les choses.

Il est important de rappeler ici qu’après l’indépendance du Niger en 1958, la France a conclu une série d’accords visant à garantir son accès privilégié à l’uranium. En contrepartie, l’ancienne colonie bénéficiait de la garantie de sécurité militaire, de débouchés pour ses produits et d’une assistance au développement. Ces traités engageaient en outre l’armée française à défendre les dirigeants nigériens non contre les menaces extérieures, mais également contre de possibles coups d’État. « Cette époque est révolue, et nous ne permettront plus à la France de nous duper », s’indigne Brahim, tout en condamnant les sanctions imposées par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) pour faire pression sur la junte au pouvoir ainsi que la menace d’intervention militaire de cette organisation ouest-africaine.

Les turbulences politiques qui secouent le Niger depuis deux mois sont graves mais pas inédites, à en croire le professeur Telli qui rappelle : « le Niger a connu pas moins de cinq coups d’Etat en soixante ans d’indépendance ». Il indiqua à ce propos que la France a toujours été impliquée, de près ou de loin, dans ce qui s’y passait jusqu’à des « complicités avec certains putschistes qui favoriseraient les intérêts économiques français ». Pour ne citer que ces exemples, en 1974, Hamani Diori, le chef d’État nigérien de l’époque, fut victime d’un putsch, avalisé par Paris, juste après avoir réclamé une augmentation du prix de vente de l’uranium. Trente ans plus tard, le président Mamadou Tandja commit la même erreur. Après avoir gagné une substantielle augmentation du prix de l’uranium en 2008 et avoir obtenu que le Niger puisse vendre sa ressource minière à d’autres clients que la France, il fut renversé en 2010 par les militaires. Mahamadou Issoufou, un ingénieur des Mines, formé en France et ancien salarié d’Areva parvint à la tête de l’État à peine un an plus tard. Il conclut en disant que bien que la situation actuelle soit différente, vu la détermination du CNSP, « la France continuera à défendre ses intérêts pour garantir son indépendance énergétique ».

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