Relations franco-algériennes : Je t’aime moi non plus

Rencontre du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avec le président français, Emmanuel Macron, à l'aéroport d'Alger, en août 2022.
En Algérie la commémoration de la date du déclenchement de la guerre de libération nationale qui coïncide avec le 1er novembre de chaque année, au même titre que celle du 5 juillet qui célèbre la fête de l’indépendance, est forcément l’occasion de dresser un bilan d’étape sur les relations franco-algériennes.

Les gouvernements algériens successifs s’employaient avec une sacrée dose d’émotion et de solennité à mettre en relief les « acquis » de l’Algérie indépendante malgré la longue nuit coloniale. L’exercice est devenu un classique et les « injazates » (réalisations) sont déclinées sur un ton monocorde via tous les médias publics et privés. Ce regard dans le rétroviseur de l’histoire récente de l’Algérie doit obligatoirement être sublimé et magnifié pour en mettre plein les yeux au bon peuple si jaloux de son pays et de sa révolution. Pas de place donc à l’autocritique et aux ratages même s’ils sautent aux yeux. 

À la place, on charge sans ménagement l’ancienne puissance coloniale qu’on accable de tous les maux du pays. Ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. La France le mérite évidemment. Et le contexte s’y prête bien. Nous avons, invariablement, droit à de belles storytellings autour de l’indépendance et un procès récurrent, en bonne et due forme, de la France coloniale voire de la France tout court. Celle qui ne veut point s’excuser pour ses crimes, d’hier. Et qui ne donnent pas assez de visas, aujourd’hui ! Poussé jusqu’à la caricature, c’est un peu la « mise en place » mémorielle qu’on observe en Algérie à la veille de chacune de ces deux dates phares. Et cela va continuer ainsi aussi longtemps que ne seront pas soldés les comptes du passé et du passif colonial.

Passif colonial très pesant  

Parce que, dans le registre de l’émotion, les blessures de la colonisation française sont encore vives en Algérie, les rancunes et les rancœurs sont tout autant tenaces. Et ce 5 juillet 2023 ne fait pas exception à la règle, loin s’en faut. Le retour de la brouille diplomatique entre les deux pays dans le sillage de ce qu’il convient d’appeler l’affaire « Kassaman » (hymne national algérien) a réinstallé l’ambiance des mauvais jours entre Alger et Paris. Les deux pays qui partagent une relation souvent passionnelle mais rarement passionnante se regardent une nouvelle fois en chiens de faïences. Le « Je t’aime moi non plus » a repris de plus belle.

Pourtant, tout avait bien commencé lors de la visite officielle du président français, Emmanuel Macron, en Algérie, en août 2022. Avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ils semblaient même bien s’apprécier mutuellement. Les deux chefs d’Etat avaient alors acté les retrouvailles franco-algériennes, couronnées par la signature de la fameuse « Déclaration d’Alger » pour un partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie. Mieux encore, la Première ministre française, Elisabeth Borne, débarquait un mois plus tard, à Alger, accompagnée d’un bataillon de ministres. Tout le monde a cru alors que c’est enfin l’embellie dans les relations bilatérales et que, désormais, rien ni personne ne pourra assombrir le ciel entre Alger et Paris. À la bonne heure ! Mais c’était sans compter sur ces mains invisibles qui replacent à chaque fois le curseur desdites relations dans la mauvaise case. Et qui remettent à zéro les efforts entrepris de part et d’autre pour dépassionner les débats.

Kassaman que c’est cuit !

L’affaire d’Amira Bouraoui était ainsi tombée comme un cheveu sur la soupe pour gâcher l’idylle naissante entre Paris et Alger, et remettre en guillemets la visite d’Etat que devait effectuer le président Tebboune en France au mois de mars dernier. Cette sulfureuse affaire de sortie illégale de l’activiste politique du territoire national, dans laquelle étaient mêlés services de renseignement et diplomates, a provoqué une grave crise diplomatique. Finalement, il a suffi d’un coup de file de Macron à Tebboune pour que la vision se dégage et les lignes se rétablissent entre l’Élysée et El Mouradia. Les deux présidents ont décidé que l’affaire Bouraoui n’était, au pire, qu’une « ambiguïté » et, au mieux, un « malentendu ».

Le projet de la visite du président algérien en France se voit ainsi relancé et « calé » pour la mi-juin à la faveur de ce « happy end » de la précédente séquence et de la longue série noire des relations tumultueuses. Or, entre temps, des déclarations et des publications aussi intempestives que répétitives de l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, repolluaient l’atmosphère. Un chargé de mission ? On n’en sait pas trop même si l’on ne se fait pas d’illusion sur le timing de ses attaques frontales contre le « système algérien », le président Tebboune et l’armée algérienne.

Si la guerre en Ukraine a sans doute impacté cette fameuse visite devenue une arlésienne, mais surtout le déplacement de Tebboune en Russie, l’épisode de « Kassaman » et la décision souveraine de l’Algérie de réintroduire un couplet qui évoque expressément la France, a été le coup de grâce. Depuis, on ne parle plus d’une visite du président Tebboune cet été. Elle est reportée sine die et sans explication ! Puis vint l’horrible meurtre de l’adolescent d’origine algérienne, Nahel, par la police française à Nanterre.

L’Algerian bashing

Plutôt que de tenter de faire baisser la tension, les politicards de salon et les médias mainstream se sont lancés dans l’Algerian bashing en bombardant à coups de plateaux et de déclarations tonitruantes et faussement émues. Et, comble de l’indignité, le flic assassin de Nahel a eu droit à la « cagnotte de la honte » qui a atteint plus de 1,6 millions d’euros pour… service rendu aux racistes de tous bords. La République Zemmourienne et Le Peniste est en marche ! La France, « patrie des droits de l’homme », assume-t-elle d’exécuter un enfant et de récompenser son assassin ? En tout cas, cette scabreuse affaire à fait très mal.

Bien que le petit Nahel soit français, ses racines algériennes ont fait déborder la coupe déjà pleine des contentieux algéro-français. Son odieux assassinat qui exprime le refoulé gorgé de haine et de racisme d’un policier français et de ses supporters, a été filmé en direct dans une spectaculaire orchestration scénique. Pour les Algériens d’ici et de à là-bas, le petit Nahel est victime d’un délit de faciès comme l’ont été des dizaines voire des centaines de jeunes issus de l’immigration dont le seul tort est d’avoir le teint basané et d’habiter dans les quartiers dits difficiles.

L’écume des jours et de rage que nous voyons dans de nombreux quartiers et villes françaises, notamment à Paris et ses banlieues, exprime cet insoutenable sentiment d’injustice éprouvé par ces Français de « seconde zone », sans cesse désignés coupables jusqu’à preuve du contraire. Il exprime aussi l’insupportable condition humaine d’une catégorie de Français que l’Etat profond de l’Hexagone a décidé de communautariser et d’ethniciser pour la désigner à la vindicte populaire. In fine, la mort de Nahel a peut-être tué, du moins à court terme, l’espoir d’une refondation franco-algérienne tant désirée par les deux présidents. Quant à la fameuse visite d’Etat du président Tebboune chez l’ancienne puissance coloniale, elle semble être indésirable. De part et d’autre.

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