Le 9 janvier 2022, plusieurs journaux en France ont évoqué le « Titanic de la Méditerranée » en rappelant le naufrage du navire le Lamoricière, 80 ans plus tôt, jour pour jour. L’épave du paquebot de 156 mètres, construit en 1920 et exploité par la Compagnie générale transatlantique, a été retrouvée en 2008. Depuis, l’engouement autour du récit de sa fin tragique « à la Titanic » a repris de plus belle.
Le navire français a quitté Alger en direction de Marseille, le 6 janvier 1942, avec 272 passagers et 122 membres d’équipage, dont plusieurs Algériens. Mais il n’arrivera jamais à destination. Le 9 janvier, il a sombré au large des îles Baléares où il avait fait, ironie du sort, un détour en vain pour tenter de porter secours au bateau cargo Jumièges, coulé dans la soirée du 7 janvier par une fortes tempête ; celle-là même qui va l’engloutir à son tour !
La traversée Alger-Marseille qui a coûté la vie à 300 personnes
Bien fortunées, 93 personnes ont survécu à cette fin tragique, parmi lesquels des passagers algériens. Les naufragés ont été sauvés in extremis par trois navires (Gueydon, Chanzy et L’Impétueuse) qui avaient entendu les appels aux secours. Mais tout le monde n’a pas eu cette chance. Au total, 301 personnes, entre voyageurs et marins, ont trouvé la mort ce soir-là. Un autre décompte du journal Le Monde, fait à la fin des années 1950, évoque même 307 victimes. Parmi elles, on note la perte de 16 enfants, qui rentraient avec leurs accompagnants d’un séjour dans un centre de santé algérois.
Le 08 mai 2008, des scaphandriers italiens et espagnols ont retrouvé l’épave du Lamoricière, à une profondeur de 156 mètres, à quelque 10 km au large de Minorque (île espagnole des Baléares). Une passion est ainsi née autour du paquebot. La pionnière en la matière, c’est Isabelle Cardin, petite-fille de Pierre, un des passagers décédés dans le naufrage. Elle a commencé, la même année, un énorme travail de dépoussiérage du dossier de cette catastrophe maritime. La création d’une page Facebook et la fondation d’une association, en 2022, permirent aux témoignages des descendants de s’entrecroiser d’une rive de la Méditerranée à l’autre et d’enrichir le récit historique sur l’évènement tragique.
Quête en continu de la vérité sur la fin du Lamoricière
Ils nous apprirent par exemple, écrit La Provence, que parmi les passagers, il y avait « trois cryptologues polonais qui avaient permis aux Alliés de casser le code de la fameuse machine de chiffrement nazi Enigma ». Quelques mois plus tard, les mêmes Alliés débarquèrent en Algérie, le 8 novembre 1942, changeant le cours de la Seconde Guerre mondiale. On apprend aussi que parmi les victimes décédées, on décomptait une « soixantaine d’indigènes », essentiellement des Algériens, selon une information de L’Écho d’Alger en date du 11 janvier 1942. Beaucoup étaient des passagers civils ou militaires, et certains faisaient partie de l’équipage ; aux machines, à l’entretien ou à la soute.
Côté factuel concernant le naufrage du Lamoricière, un témoignage de poids a été déterré : celui d’un certain commandant Schwander, un officier du « Groupement de Chasse n° 26 » d’Alger-Maison Blanche, qui était à bord du bateau militaire le Gueydon. « Il est indiscutable que le naufrage du Lamoricière est dû à une faute grave de la Cie générale transatlantique. », écrit-il dans son rapport du 13 janvier 1942. Et de préciser : « Et en particulier à l’agent technique de cette Cie à Alger qui malgré les réclamations du chef mécanicien Trautmann n’a pas voulu faire remettre en état la porte de soute qui faisait eau et cela malgré l’exemple donné par le commandant du Gueydon qui, un mois avant, quittant Marseille dans les mêmes conditions avait fait retour au port pour un motif analogue ».
La nature hostile seule responsable de la disparition du Lamoricière ?
Malgré les doutes et les démarches des rescapés, ainsi que les familles des victimes disparues en haute mer, contre la Compagnie générale transatlantique devant les tribunaux de Marseille et d’Alger, la justice française conclut finalement à un accident qui aurait été causé par une violente tempête contre laquelle le navire n’aurait pas pu résister. « Les tribunaux jugèrent en effet que le naufrage était principalement imputable à la médiocre qualité du charbon attribué au navire par les services de la répartition, et qui n’avait pas permis de donner aux machines en temps opportun la puissance suffisante pour tenir tête à une tempête d’une extrême violence », écrit Le Monde (le 13 juillet 1954).
En janvier 1949, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait confirmé cette mise hors de cause de la compagnie maritime mais elle a pointé du doigt « les transports maritimes de l’État, responsables pour un cinquième des conséquences dommageables de l’événement » (Le Monde, le 7 janvier 1949). Les requérants se retournèrent alors contre le gouvernement. Mais le Conseil d’État se déclara « incompétent ». Enfin, la chambre commerciale de la Cour de cassation estima que « la catastrophe a été surtout causée par un cyclone d’une violence exceptionnelle ‘‘dépassant le caractère de tempête prévisible en cas de voyage sur mer’’ » (Le Monde, 21 juin 1951).