BRTV, les Berbères parlent aux Berbères 

Logo du groupe BRTV

Berbère Télévision est la première chaîne de l’histoire à être entièrement dédiée à l’identité, la culture et la langue berbères. Ce média, lancé en janvier 2000, a joué un rôle primordial dans l’éveil politico-culturel des communautés amazighes en France, mais surtout dans les pays du « monde berbère », notamment l’Algérie et le Maroc. Grâce à la clairvoyance et la détermination de son fondateur, Mohamed Saadi, BRTV a été à l’avant-garde du paysage audiovisuel amazigh, canal d’expression populaire et de surcroît le mieux adapté à l’oralité de la culture berbère. Retour sur l’histoire de la doyenne des chaînes berbérophones.

L’écran de Berbère Radio-Télévision (BRTV) s’est illuminé pour la première fois le 24 décembre 1999 à l’occasion d’une diffusion expérimentale, avant son lancement officiel le 1er janvier 2000, « pour marquer le début du troisième millénaire », selon son créateur Mohamed Saadi. Cet expert-comptable franco-algérien reconnu, dont le cabinet créé en 1996 est l’un des plus importants en France avec une spécialisation dans les industries culturelles et créatives, autrement dit le show-business, a eu la bonne idée d’explorer un terrain jusque-là « désertique » : l’édition d’un média audiovisuel entièrement berbérophone. « Je me suis attelé à une longue réflexion sur le projet pendant trois ans, de début 1997 à fin 1999. J’ai fait beaucoup de recherches et frappé à toutes les portes, en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, afin de cerner les contours juridiques et les mécanismes techniques qui concernent la création d’une nouvelle chaîne télé. C’était très difficile mais je n’ai pas renoncé. », raconte-t-il. Il a persévéré « discrètement » et levé tous les obstacles. « J’ai pris le temps de faire les choses dans les normes mais je craignais quand même d’avoir un empêchement à tout moment, vu la nature du projet et la thématique de la chaîne. D’ailleurs, j’ai attendu vraiment la dernière minute pour signer le contrat avec Eutelsat. », se rappelle le natif d’Alger.

Mohamed Saadi, le fondateur de Berbère Télévision, est aussi le président de l’association culturelle Tilelli-Liberté, principale organisation qui célèbre chaque année le nouvel an berbère à l’Hôtel de ville de Paris (discours du 24/02/2024, ©BRTV).
Mohamed Saadi, le fondateur de Berbère Télévision, est aussi le président de l’association culturelle Tilelli-Liberté, principale organisation qui célèbre chaque année le nouvel an berbère à l’Hôtel de ville de Paris (discours du 24/02/2024, ©BRTV).

Bien que chef d’entreprise avisé, le gain n’était pas son objectif derrière ce projet, pourtant très ambitieux pour son époque. Ayant quitté l’Algérie en octobre 1980, six mois seulement après les événements du Printemps berbère, pour poursuivre brillamment ses études de comptabilité en France, le jeune algérois d’origine kabyle a eu le sentiment d’avoir « une dette », envers la cause berbère. Il deviendra l’un de ses grands défenseurs à travers la création de Berbère Télévision. « Ma famille est originaire des Ouadhias en Kabylie. Elle s’est installée Alger après avoir subi l’expropriation de ses biens par l’armée française au lendemain de la grande insurrection de 1871. Mais même en ayant grandi dans un milieu arabophone, l’appartenance à la civilisation amazighe multimillénaire m’a toujours animé. Jeune, je sentais déjà la fragilité de notre langue ancestrale, portée sur l’oralité. La création de BRTV a été ma modeste contribution pour sa sauvegarde, puis en général pour la promotion de la culture berbère. Notre histoire et notre identité méritent d’être mises en lumière et elles en ont grandement besoin pour leur épanouissement. », a-t-il soutenu. Pour ce faire, il est parti d’un constat simple : dans un contexte où le tamazight avait été enfin reconnu « langue nationale » par la Constitution algérienne de 1996, les médias lourds du pays, comme tous ceux d’Afrique du Nord et même les médias communautaires de la diaspora maghrébine, ignoraient complètement la langue et la culture berbères ou leur accordaient une infime place, plus folklorique qu’autre chose. La devise initiale de BRTV a été toute trouvée : « La seule chaîne qui vous parle berbère ».

Non seulement elle est entrée dans l’histoire en étant la première chaîne télé berbérophone, mais elle a également marqué durablement l’audiovisuel français. Sa création a provoqué un changement législatif majeur, instaurant un régime déclaratif concernant la création de nouvelles chaînes satellitaires. « BRTV a été créée sans autorisation ou déclaration préalable, ce qui était alors possible en France pour les chaînes satellitaires. Tout le monde était surpris. Le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel, ndlr) m’a donc convoqué et demandé des explications, que j’ai fournies. Puis, avec l’arrivée de Dominique Baudis à la tête du CSA, en janvier 2001, nous avons rapidement signé une convention. Notre chaîne a été alors agréée. », précise l’expert-comptable des stars, qui croit à la « bonne étoile » de Berbère Télévision. « Après les conditions de sa naissance que je viens d’étaler, elle a bénéficié de deux évolutions techniques majeures qui ont accompagné les années 2000 : le début de la transition de l’analogique vers le numérique et l’arrivée de l’ADSL. Cela a facilité le développement de la chaîne et lui a permis d’avoir une bonne base d’abonnés grâce à des contrats signés d’abord avec Free, puis avec les autres opérateurs : Bouygues, Numericable, etc. », explique-t-il encore.

La série d’animation japonaise Un chien des Flandres, diffusée en France en 1995, a été le premier dessin animé doublé en kabyle et diffusé par BRTV en 2000, sous le titre Patrasche (nom du chien). Il a marqué toute une génération (©D.R.).
La série d’animation japonaise Un chien des Flandres, diffusée en France en 1995, a été le premier dessin animé doublé en kabyle et diffusé par BRTV en 2000, sous le titre Patrasche (nom du chien). Il a marqué toute une génération (©D.R.).

BRTV, un outil d’engagement culturel

Née dans la douleur, l’engagement en faveur de la sauvegarde et la promotion de l’identité et de la culture berbères a été la principale raison d’être de Berbère Télévision. Avant que ce soit le groupe médiatique moderne d’aujourd’hui, avec ses programmes omniprésents sur le câble, le numérique et internet, BRTV a commencé à émettre quatre heure seulement par jour, de 19 à 23 h, depuis un studio loué au niveau de la rue du Cherche-Midi à Paris. C’était un rendez-vous familial incontournable pour des millions de foyers berbères dans les deux rives de la Méditerranée : dessins animés doublés en berbère, informations, chansons, poésie, émissions, jeux, etc. La diffusion continue arrivera en 2003, au moment du déménagement dans le siège social actuel à Montreuil.  

Quoiqu’« artisanale », Berbère Télévision a vite gagné les cœurs des familles amazighes en général et kabyles en particulier – en France, en Algérie et ailleurs –, lesquelles étaient non habituées à regarder des programmes audiovisuels dans leur langue maternelle, qui leur ressemblaient et auxquels elles pouvaient s’identifier. Sa popularité explosera après 2001, année du Printemps noir en Kabylie. Cet énième mouvement revendicatif berbère a été marqué par de violentes émeutes et une répression policière féroce qui a coûté la vie à 126 manifestants. En assurant une couverture « alternative » des événements, la chaîne naissante a, sans forcément le vouloir, contribué à la déconstruction du discours officiel de la chaîne publique algérienne. Cela a été rendu possible grâce à des correspondances « improvisées » sur le terrain, qui ont donné la part belle aux témoignages des acteurs impliqués dans la mobilisation citoyenne. Berbère Télévision a ainsi inscrit son nom, non pas uniquement comme le « premier média communautaire berbérophone », qui promeut la langue et la culture ancestrales, mais aussi comme un nouveau média libre et indépendant, assurant une réelle liberté d’expression au même titre qu’une certaine presse écrite algérienne née durant les années 1990.

La petite rédaction de BRTV à l’affût des dernières informations arrivant de Kabylie autour des événements du Printemps noir (reportage de France 3, 28/04/2001, ©France 3).
La petite rédaction de BRTV à l’affût des dernières informations arrivant de Kabylie autour des événements du Printemps noir (reportage de France 3, 28/04/2001, ©France 3).

Tenant à défendre ce qu’elle représentait, une centaine d’abonnés ont créé l’association parisienne « Les Amis de la BRTV », en décembre 2001. Afin de la sauver du danger de disparition, à cause de graves difficultés financières générées par le piratage de ses programmes en France et en Algérie (problème récurrent à l’époque, qui a touché notamment Canal+ et TPS), ils ont organisé des campagnes d’abonnements et de dons, en Algérie, en France, en Europe et même au Canada et aux États-Unis. Cela a duré près d’une année et permis à la chaîne de se refaire une santé. C’est pourquoi, Mohamed Saadi a « fait de la gratuité de l’accès à Berbère Télévision en Algérie et en Afrique du Nord un point d’honneur ».

À ce propos, il nous a confié une touchante histoire, la preuve s’il en fallait encore une de l’attachement inné de chaque amazigh à sa culture, qu’il soit enfant ou vieux, femme ou homme. « Parmi tous les soutiens que nous avons reçus, un en particulier m’a vraiment touché à titre personnel. Depuis plus de 22 ans, je garde dans mon bureau la lettre d’une fille de 12 ans et son don de 200 dinars. Elle s’appelle Karima, elle a économisé son argent de poche et nous l’a envoyé en guise de solidarité. Depuis, je garde le billet et la lettre comme un talisman motivateur qui me procure une énergie positive, que je ressors à chaque moment difficile. Honnêtement, le geste et les mots de Karima ont changé le destin de BRTV car, à chaque crise que la chaîne a traversé, ils me rappelaient pourquoi je l’ai créée et me donnaient de la force pour ne pas jeter l’éponge. », a-t-il admis. La belle conclusion serait que la fameuse Karima, originaire de Chabet-El-Ameur (Isser – Boumerdès), aujourd’hui âgée de 34 ans, lise cet article, se reconnaît et se manifeste auprès de France Algérie Actualité afin de pouvoir la mettre en contact avec le PDG du groupe Berbère Télévision, auquel elle a permis d’exister à travers sa petite contribution désintéressée et innocente.

En janvier 2002, Karima, alors une jeune fille de 12 ans, a écrit une lettre de soutien à BRTV. Elle y joignit un don de 200 dinars algériens qu’elle avait économisés à partir de son argent de poche (©France Algérie Actualité).
En janvier 2002, Karima, alors une jeune fille de 12 ans, a écrit une lettre de soutien à BRTV. Elle y joignit un don de 200 dinars algériens qu’elle avait économisés à partir de son argent de poche (©France Algérie Actualité).

Depuis 24 ans, les caractères de média « populaire » et de « proximité » sont sa marque de fabrique. Plus récemment, lors des grandioses manifestations du Hirak algérien de 2019, ou la Révolution du sourire, on pouvait lire sur l’une des pancartes brandies : « BRTV, la chaîne du peuple ». Celle-ci fait référence à la présence du média dans toutes les actions contestataires en Algérie et dans la diaspora afin d’assurer au mieux sa mission d’information.

Avec un nouveau slogan, « Tamazight vivra », la petite radio-télévision berbère, qui avait survécu miraculeusement en comptant sur ses abonnés et quelques annonceurs, a franchi une nouvelle étape en novembre 2008 avec le lancement du Bouquet Berbère (Berbère Télévision, Berbère Music et Berbère Jeunesse). « Mais du point de vue technique, nous avons connu une grande révolution à partir de 2011 avec la généralisation du numérique dans l’édition et la diffusion de nos programmes. Ce qui nous a permis, ensuite, de nous concentrer sur le développement de notre projet éditorial, en comptant sur nos propres moyens de production. », précise Miloud Lassal, directeur de Berbère Télévision depuis 2005. « Nous avons enrichi la grille des programmes de la chaîne principale et de ses deux petites sœurs consacrées à la musique et aux enfants. Nous avons également créé une radio numérique terrestre, Antinéa Radio, qui a commencé sa diffusion en 2020. Nous proposons aujourd’hui une offre médiatique complète avec une synergie et une complémentarité de nos contenus audiovisuels diffusés à travers différents supports, y compris sur internet. », ajoute le journaliste et réalisateur, ancien de l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA).

Pancarte portée par un manifestant du Hirak algérien, ou la Révolution du Sourire, sur laquelle on peut lire en arabe : « BRTV, la chaîne du peuple » (photo prise le vendredi 10 janvier 2020 et reprise par la chaîne sur ses réseaux sociaux, ©D.R.).
Pancarte portée par un manifestant du Hirak algérien, ou la Révolution du Sourire, sur laquelle on peut lire en arabe : « BRTV, la chaîne du peuple » (photo prise le vendredi 10 janvier 2020 et reprise par la chaîne sur ses réseaux sociaux, ©D.R.).

Nouveau cap pour la première télévision berbère

Avec l’« officialisation » de tamazight en Algérie par la révision constitutionnelle de 2016 et la consécration de Yennayer (nouvel an berbère) en 2017 comme une fête nationale (jour férié, chômé et payé), la ligne éditoriale de Berbère Télévision a opéré un changement notable post-reconnaissance. Elle est sortie du postulat « revendicatif » pour un autre plutôt « affirmatif » de la dimension amazighe dans la personnalité nationale algérienne.

Dans le but de mieux se déployer dans le pays, Berbère Télévision a fait une demande d’accréditation aux autorités algériennes, qui reste sans suite jusqu’à aujourd’hui. En attendant, le groupe médiatique s’est lié contractuellement, depuis 2017, avec l’agence High Top, une entreprise de droit algérien qui s’occupe de la production des contenus et la commercialisation des espaces publicitaires de Berbère Télévision, sans pour autant pouvoir lui transférer ses recettes le temps qu’elle obtienne une domiciliation auprès de la Banque d’Algérie.

Cette situation de « précarité », à la fois sur le plan administratif et financier, a été à l’origine de la mise sous scellés du « siège » de BRTV à Alger par la police judiciaire le 19 février 2023, avant leur levée le lendemain. Ladite fermeture éclair a engendré une « levée de boucliers » parmi les acteurs politiques, associatifs, culturels et médiatiques, tous horizons confondus, en soutien à Berbère Télévision, qui a eu ainsi la preuve du succès de sa « réorientation nationale ».

Cela atteste non seulement que sa place est indétrônable dans le paysage médiatique berbère, mais aussi algérien. « Concernant les actualités sociales, économiques et politiques, on donne la parole à tout le monde sans jamais prendre position au profit de quiconque. Notre ambition est de transmettre le maximum d’informations utiles et fiables aux téléspectateurs, et les laisser se faire leurs propres opinions en tant que citoyens libres. C’est ça qui a conféré une grande crédibilité à Berbère Télévision, faisant d’elle l’une des chaînes les plus regardées dans le pays. », assure le patron de la chaîne. Ce dernier s’attend à ce « que les autorités algériennes compétentes accèdent à sa demande d’accréditation afin de travailler plus librement et de développer le réseau des correspondants dans l’ensemble des wilayas. On reste confiants ». En effet, Berbère Télévision demeure un média de droit français. Si sa présence est « tolérée » à Alger et dans les principales villes de Kabylie, elle a absolument besoin d’accréditation officielle pour pouvoir renforcer sa présence dans les autres régions d’Algérie.

Après deux jours d’absence de l’antenne, Katia Chabane, journaliste et présentatrice du JT de BRTV depuis 2020, exprime le soulagement de sa rédaction après la levée des scellés du siège de la chaîne à Alger, mis par la police judiciaire algérienne le 19 février 2023 (JT du 21/02/2023, ©Katia Chabane).
Après deux jours d’absence de l’antenne, Katia Chabane, journaliste et présentatrice du JT de BRTV depuis 2020, exprime le soulagement de sa rédaction après la levée des scellés du siège du prestataire de la chaîne à Alger, mis par la police judiciaire algérienne le 19 février 2023 (JT du 21/02/2023, ©Katia Chabane).

Plus qu’une simple chaîne télé

Dès son lancement, Berbère Télévision s’est inscrite dans le même combat que le Mouvement culturel berbère (MCB) pour la reconnaissance et l’officialisation de la dimension amazighe dans l’identité nationale algérienne. « Nous avons estimé qu’il fallait reprendre le flambeau de la cause berbère à notre niveau et avec les moyens dont nous disposions, c’est-à-dire très peu. Mais la volonté et l’amour de notre identité et culture ont suffi pour relever le défi. », a indiqué Kamel Tarwiht, la figure historique de la chaîne, qu’il a rejoint dès janvier 2002, arrivé en France pour poursuivre des études en droit, puis en communication et en sciences politiques (Université Paris VIII).

L’ancien animateur de la radio publique berbérophone Chaîne 2 (1994-2001) témoigne des débuts laborieux de Berbère Télévision : « Les membres de la jeune rédaction, malgré d’énormes difficultés financières, ont tout donné et mis leur expérience au service d’un projet auquel ils croyaient. Nous avons travaillé avec le cœur en étant conscients que c’était une façon de s’engager et de militer pour notre survie culturelle. BRTV a été tout de suite perçue comme un nouveau symbole et un nouveau moyen de la lutte pour le tamazight, qu’il fallait donc sauvegarder ». Et d’enchaîner : « Il n’y avait presque pas de production audiovisuelle berbère. Nous étions obligés de démarrer à zéro, dans des conditions matérielles dérisoires. L’idée était de donner la priorité à la documentation d’une culture orale en voie de disparition ».

Kamel Tarwiht est la figure historique de BRTV avec 22 ans d’antenne (sur la photo prise à Marseille en 2006, on voit de gauche à droite : Mohamed Saadi, fondateur de BRTV ; Kamel Tarwiht, journaliste et animateur de BRTV ; Smaïl Zidane, père de Zinédine Zidane ; le grand chanteur Idir ©Mohamed Saadi).  
Kamel Tarwiht est la figure historique de BRTV avec 22 ans d’antenne (sur la photo prise à Marseille en 2006, on voit de gauche à droite : Mohamed Saadi, fondateur de BRTV ; Kamel Tarwiht, journaliste et animateur de BRTV ; Smaïl Zidane, père de Zinédine Zidane ; le grand chanteur Idir ©Mohamed Saadi).  

Touche-à-tout, le « Michel Drucker kabyle », toute proportion gardée, a progressivement dépoussiéré les visages de la culture berbère, avant de contribuer à son rayonnement international durant ses 22 ans d’antenne. Lui-même artiste et romancier, il a « toujours eu le contact facile avec les artistes, les écrivains, les universitaires, les acteurs associatifs et politiques. Avec le temps, mes émissions sont devenues un passage obligé pour eux dans une perspective de s’adresser au public berbère, et pas que kabyle. Je veux dire qu’on est bien suivi en Algérie, au Maroc, en France, au Canada, etc. Nos téléspectateurs dans tous ces pays nous respectent et nous le leur rendons bien ». Selon lui, « la portée symbolique de BRTV pour les Berbères du monde entier est aussi importante que celle du MCB et de la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie, ndlr) ».

En effet, à l’instar de la JSK qui « n’est pas un simple club de football », Berbère Télévision incarne bien plus qu’une simple chaîne de télévision ; elle représente un symbole de résistance, de fierté et d’unité pour les Berbères, où qu’ils se trouvent en Algérie, dans le reste de l’Afrique du Nord, en France et partout dans le monde. « Notre chaîne n’est pas seulement un média, c’est un symbole de fierté et d’inclusion pour l’ensemble du peuple amazigh. À travers nos émissions, nous montrons au monde la richesse de notre culture, la beauté de notre langue et l’importance de notre héritage. On incarne la voix des villages et des villes berbères, en donnant la parole à leurs forces vives en Algérie et ailleurs. », souligne Farid Sahel, présentateur du journal télévisé (JT) depuis 2016, avant d’ajouter : « Dans mon JT, et dans les autres programmes de la chaîne, on essaye de mettre des visages sur les noms qui font la spécificité de la société berbère : les anciens, les artistes, les écrivains, les militants et les politiciens. En plus de l’information et du divertissement, c’est un engagement pour la sauvegarde de notre culture et son affirmation dans toute Tamazgha ».

Farid Sahel, présentateur du JT de BRTV depuis 2016 et aussi animateur de Antinéa Radio, lancée par le groupe Berbère Télévision en 2020 (©D.R.). 
Farid Sahel, présentateur du JT de BRTV depuis 2016 et aussi animateur de Antinéa Radio, lancée par le groupe Berbère Télévision en 2020 (©D.R.). 

BRTV, cette école de formation

Licencié en sciences de l’information (Université d’Alger) et en médiation culturelle (Université du Littoral-Côte-d’Opale – Dunkerque), Farid est l’un des fruits de la politique de recrutement et de formation interne de Berbère Télévision, où il a atterri en 2007 en tant que stagiaire. « Dès mon arrivée, on m’a convaincu que notre mission était la transmission culturelle et la pédagogie en matière linguistique. Ainsi, tout en essayant d’utiliser une langue simple que tout le monde comprend, jeunes et moins jeunes, pour faire passer l’information au mieux, je fais beaucoup de recherches afin de ‘‘purifier’’ le berbère que nous utilisons. À force de répéter des mots méconnus en tamazight, ça rentre dans la tête des gens. », croit-il. Abondant dans ce sens, Miloud Lassal affirme : « Depuis ses débuts, Berbère Télévision veille à dénicher ses propres talents, maitrisant la langue et le métier, étant pour la plupart issus de formations universitaires en lien avec les médias ou la langue et la culture amazighes. Ils sont forgés dans notre ligne éditoriale : défendre la cause berbère dans tous ses aspects, en restant un média sérieux, professionnel et neutre ».

Dans cette catégorie de personnels qualifiés, purs produits de BRTV, on peut citer Hammou Merzouk, universitaire et journaliste société/politique. La vedette montante de la chaîne berbère depuis 2019 est consciente de la « double responsabilité » qui lui incombe, en tant qu’à la fois « journaliste professionnel objectif » et « citoyen engagé en faveur des causes justes », non seulement en ce qui concerne la question berbère, mais aussi la question démocratique en Algérie. « En tant que jeunes berbères, nous avons grandi sans voir notre culture représentée dans les médias dominants. Berbère Télévision a comblé ce vide en nous offrant une plateforme pour nous exprimer, raconter nos propres histoires et célébrer qui nous sommes. C’est un honneur et un privilège d’en faire partie. Son logo au-dessus de ma tête est quasiment sacré pour moi. Je fais en sorte d’être toujours à la hauteur et de ne jamais décevoir notre public. », a-t-il martelé.

Hammou Merzouk, le journaliste vedette de BRTV, fait régulièrement des plateaux depuis le terrain, y compris en dehors d’Alger et de la Kabylie (capture d’écran du teaser d’une émission enregistrée à Aïn Oussera – Djelfa, diffusée le 14/04/2023, ©BRTV). 
Hammou Merzouk, le journaliste vedette de BRTV, fait régulièrement des plateaux depuis le terrain, y compris en dehors d’Alger et de la Kabylie (capture d’écran du teaser d’une émission enregistrée à Aïn Oussera – Djelfa, diffusée le 14/04/2023, ©BRTV). 

Se disant « reconnaissant envers BRTV pour ses accomplissements en faveur de la renaissance et de la promotion de la langue et de la culture du peuple amazigh », il considère que sa génération « n’a pas le droit à l’erreur. Il faut poursuivre le travail d’éveil identitaire et culturel en Algérie et partout dans les pays de Tamazgha, en s’ouvrant de plus en plus aux communautés berbères restées jusqu’ici sans voix ». Il a pris l’habitude, depuis plusieurs mois, de faire des plateaux délocalisés en dehors d’Alger et de la Kabylie, rendant visite aux acteurs de la réappropriation culturelle dans différentes villes du pays (Tipaza, Blida, Batna, Ghardaïa, Timimoune, Biskra, Tiaret, Djelfa, Tlemcen, Oran, Mostaganem, etc.). Pour les mêmes finalités, il a animé des émissions en visioconférence avec des invités marocains, tunisiens et libyens.

« Nous travaillons davantage pour plus de proximité et d’ouverture vers toutes les populations berbères, avec deux objectifs : leur donner la parole et aller chercher l’information à la source, au fin fond des régions berbérophones. », renchérit de son côté le directeur de BRTV. Dans ce sillage, le groupe médiatique berbère a acquis un studio d’enregistrement local à Béjaïa en 2023, et envisage d’ouvrir d’autres « locaux de proximité » dans les quatre coins du pays et dans l’immigration, ainsi que le renforcement de son réseau des correspondants locaux.

Au-delà d’être l’un des hérauts de la liberté d’expression berbérophone, la chaîne est résolument engagée à poursuivre sa mission originelle : offrir une tribune à la diversité culturelle et promouvoir la langue amazighe afin de la sortir d’une « minorisation » que lui ont imposée les régimes coloniaux et postcoloniaux dans son propre espace géographique historique. Le tout en s’adaptant aux évolutions politiques, culturelles et technologiques. Faut-il noter qu’elle dispose de 2,3 millions d’abonnés sur Facebook, sans parler de presque un demi-million de personnes qui suivent sa chaîne YouTube. Elle a, par ailleurs, lancé sa plateforme de streaming  « BRTV Live », en décembre 2021. Ses responsables ont fait le pari de la transition générationnelle, laquelle a permis l’émergence de jeunes visages maitrisant un modèle éditorial hybride qui reprend les codes des médias audiovisuels traditionnels et ceux des médias sociaux.

Le nouveau souffle de la « féminisation »

Le rajeunissement de Berbère Télévision, qui s’accélère depuis cinq ans, a été accompagné par une « féminisation » remarquable de sa rédaction. Loin de faire dans la figuration, sans nier la magnificence de leurs tenues ostentatoirement kabyles, les nouvelles figures de BRTV ont révolutionné ses programmes et reboosté son audience. On peut citer notamment Katia Chabane, Thilleli Belhouas, Nisma Tigrine ou encore Kenza Kebdi, etc. « Nous essayons de proposer des contenus qualitatifs et variés, où tout le monde se retrouve et se reconnaît. Cela a porté ses fruits et la chaîne a pu retrouver sa place d’antan auprès des familles kabyles et berbères en général. », estime Katia Chabane, journaliste et présentatrice du JT depuis 2020. L’ancienne d’une radio locale et de quelques chaînes privées algériennes relève que « le succès actuel de Berbère Télévision est dû au renouvèlement de sa grille de programmes, sa professionnalisation et sa reprise de contact avec le terrain, non seulement en Kabylie mais partout en Algérie ».

Habituée à faire des reportages et des portraits en allant directement à la rencontre des gens, lors de ses précédentes expériences, la diplômée de la faculté des sciences de l’information et de la communication (Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou) a apporté sa touche spéciale au JT de BRTV, qu’elle présente en alternance avec Farid Sahel, et à ses émissions sur Antinéa Radio. « Je fais tout pour proposer des contenus différents de ce qui se fait dans le reste du paysage médiatique national. L’idée est de s’adresser à un public intergénérationnel et mixte à travers des sujets fédérateurs et une langue inclusive, mêlant le kabyle et un berbère plus ‘‘académique’’. », clarifie-t-elle.

En parlant du « tamazight médiatique » avec Thilleli Belhouas cette fois-ci, tamazuzt ou la benjamine de Berbère Télévision à seulement 22 ans, il s’agit pour elle d’« être naturelle, faire usage de sa langue maternelle transmise par les parents et les grands-parents. Puis, il faut travailler pour l’adapter au contexte professionnel. Me concernant, le passage par le théâtre et la chorale de mon village m’ont beaucoup aidé ». La native de Taourirt Mimoun à Ath Yenni, où l’illustre linguiste et anthropologue du monde berbère Mouloud Mammeri est venu au monde, a été justement repérée par les « chasseurs de talents » de BRTV à l’occasion de l’une de ses prestations de choriste et d’animatrice d’un gala en hommage à la mémoire du grand artiste de sa région Brahim Izri.

Thilleli Belhouas, la benjamine de Berbère Télévision à seulement 22 ans, reçue par Brahim Tayeb, grand chanteur algérien d’expression kabyle (mars 2024, ©Thilleli Belhouas).
Thilleli Belhouas, la benjamine de Berbère Télévision à seulement 22 ans, reçue par Brahim Tayeb, grand chanteur algérien d’expression kabyle (mars 2024, ©Thilleli Belhouas).

Actuellement étudiante de master en audiovisuel (Université d’Alger), elle a été recrutée par le groupe Berbère Télévision en 2023. « J’ai commencé par un stage à Antinéa Radio avant de rejoindre la télé. À la fin de trois mois très formateurs, avec un accompagnement au chevet par la direction qui s’est assurée de me procurer un apprentissage pratique du métier de journaliste audiovisuel, on m’a proposé de rester. C’était le plus beau jour de ma vie. J’ai toujours eu le rêve de faire ça, plutôt dans le service public, et BRTV m’a permis de le réaliser, de façon précoce. », se réjouit la présentatrice des programmes culturels du groupe, aussi gaffeuse que radieuse à l’antenne et avec ses invités. Elle concède en toute franchise : « J’ai découvert les valeurs de la chaîne de l’intérieur et compris que c’était à elle seule une identité et un patrimoine à conserver. Ce qui fait qu’au début je sentais une certaine charge sur mes épaules. Or, le directeur de la chaîne et les autres responsables m’ont demandé d’être moi-même. Cela m’a libéré et je ne m’en suis pas privé (rire). C’est ainsi que j’ai sauté de joie en ayant au téléphone Yasmina (la diva de la chanson kabyle, ndlr) pour la première fois et que j’ai fait une déclaration d’amour en direct à Brahim Tayeb (artiste non voyant et star de la chanson sentimentale kabyle, ndlr) ». Sa spontanéité lui a « ouvert le cœur du public », qui aime bien l’image qu’elle renvoie de la culture berbère. « L’amour des gens, dit-elle, m’oblige pour l’avenir et il faut des efforts au quotidien pour rester à la hauteur de leurs attentes. Être jeune et femme n’a jamais était un obstacle ; au contraire les téléspectateurs que je rencontre me disent souvent que j’apporte une fraîcheur divertissante à leurs quotidiens ».

À sa manière, Massa (ou madame en tamazight), alias Nisma Tigrine, est aussi une « Princesse des cœurs », élevée à ce rang par le public de BRTV avant même qu’elle rejoigne sa rédaction. En 2022, lors d’une émission de Hammou Marzouk enregistrée à Bouira, au village Takerboust (le plus grand en Algérie), une jeune bénévole de 26 ans, qui avait participé à la préparation de la venue de Berbère Télévision – évènement socio-culturel important pour les villageois comme à chaque fois que la chaîne se déplace quelque part –, s’est distinguée par une prise de parole improvisée qui a crevé l’écran avec sa sincérité, son authenticité et la colère qu’elle exprimait. À une question de son futur confrère à propos de sa vision sur la société en tant que jeune femme, de surcroît enseignante de la langue amazighe au primaire, Nisma a répondu par un vrai réquisitoire : « On tente de survivre, c’est déjà bien. Je vois beaucoup de choses tristes et injustes qui m’indignent. Mais je veux rester dans mon pays pour tenter de changer les choses ».

Après avoir lancé un appel pour aider les élèves pauvres des écoles primaires où elle enseigne depuis 2019, à 1100 m d’altitude, qui pour certains n’avaient « jamais goûté au chocolat » et d’autres « tremblaient de froid sans doudounes », elle s’est adressée aux femmes de sa génération : « N’acceptez jamais l’humiliation et dites haut ce que vous pensez. Celles qui veulent danser, chanter, faire de la politique, ou autre chose, doivent se lancer ». Malgré son ton pessimiste, elle a fini par exprimer ses espoirs en matière de l’économie, la politique, la liberté d’expression et l’éducation, son sujet de prédilection.

Nisma Tigrine, enseignante de tamazight de 28 ans, présente des programmes littéraires sur BRTV depuis 2022. Elle anime notamment Idlisen d Massa où elle présente des livres d’une façon très poétique (capture d’écran du numéro consacré au chef-d’œuvre de Kateb Yacine : Nedjma, ©BRTV). 
Nisma Tigrine, enseignante de tamazight de 28 ans, présente des programmes littéraires sur BRTV depuis 2022. Elle anime notamment Idlisen d Massa où elle présente des livres d’une façon très poétique (capture d’écran du numéro consacré au chef-d’œuvre de Kateb Yacine Nedjma, ©BRTV). 

L’extrait de son passage, diffusé sur les réseaux sociaux par Berbère Télévision, a été vu par des milliers de personnes qui ont bien aimé sa maturité et sa lucidité. « C’était un cri de cœur sans aucune arrière-pensée. Les gens l’ont bien compris. », affirme-t-elle. Aussitôt, BRTV l’a approchée pour renforcer son équipe en Algérie. Depuis deux ans, elle anime Idlisen d Massa (les livres avec l’institutrice) où elle présente les ouvrages qui l’ont marquée. « J’ai opté pour une émission littéraire car ce sont les livres qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Ce sont aussi les belles lettres qui formeront les générations de demain pour en faire de bons citoyens et des êtres humains pleinement conscients de leur humanité. », espère-t-elle. Excellente trilingue (tamazight, arabe et français), elle lit et fait lire des publications de toutes les formes et dans toutes les langues, « pourvu que les gens découvrent ou redécouvrent des œuvres et des auteurs qui peuvent leur donner ou redonner le goût de la lecture. ».

Visiblement très attachée à sa mission éducative, qui « contient l’encouragement des enfants à la créativité », Massa anime une nouvelle émission : Ixulaf nnegh (notre relève), une sorte d’« École des fans kabyle ». « Je veux qu’ils apprennent à rêver et à exprimer leurs rêves. Récemment, j’ai rencontré une fille avec son papa et elle lui a dit qu’elle voulait faire la même chose que moi quand elle sera grande. Susciter des vocations chez les petites filles est ma grande réussite. », s’écrie l’enseignante de 28 ans.

Kenza Kebdi, la toute dernière recrue de BRTV, en studio avant l’enregistrement de son émission Tala N Tmussni, dans laquelle elle revient notamment sur la signification et l’étymologie de mots et d’expression en tamazight (©Kenza Kebdi).
Kenza Kebdi, la toute dernière recrue de BRTV, en studio avant l’enregistrement de son émission Tala N Tmussni, dans laquelle elle revient notamment sur la signification et l’étymologie de mots et d’expression en tamazight (©Kenza Kebdi).

Kenza Kebdi, la toute dernière recrue de la rédaction algéroise de BRTV, est également enseignante de tamazight, dans un collège à Tizi Ouzou, depuis 2016. Il y a une année, elle s’est faite connaître sur les réseaux sociaux grâce à de courtes vidéos éducatives autour de la langue et de la culture berbères. « J’ai eu l’idée de me lancer dans cette aventure en constatant que les enfants, les adolescents et même les jeunes adultes étaient de grands consommateurs de vidéos en kabyle et, parallèlement, il y avait un manque flagrant de contenus utiles et qualitatifs, qui peuvent leur parler et les intéresser. Mes vidéos ont rapidement reçu un bon accueil de la part des jeunes, mais aussi de beaucoup de parents. Ce qui a créé une dynamique positive ! », s’exclame-t-elle.

Ce succès lui a valu d’être repérée par les responsables de Berbère Télévision, qui l’ont sollicitée pour rejoindre la rédaction. « Après un premier passage en tant qu’invitée à une émission consacrée à Yennayer 2974 (nouvel an berbère, 12 janvier 2024, ndlr), j’ai eu l’immense plaisir d’intégrer la famille BRTV. L’équipe est soudée et vraiment fraternelle. Tous les membres partagent un but commun : élever et promouvoir l’identité et la langue berbères ; tout cela en respectant la diversité culturelle dans notre pays. », atteste la désormais présentatrice de Tala N Tmussni (la source du savoir). Il s’agit d’un programme en deux formats : court (3 à 6 minutes) et long (émission de 52 minutes). Les sujets traités portent sur la pédagogie et l’enseignement de la langue berbère, l’étymologie des mots, la signification des proverbes, la toponymie, la mythologie et autres éléments de la culture générale. La concernée conclut en disant son amour de ce qu’elle fait : « J’aime mon travail car cela me donne l’occasion d’enseigner aux nouvelles générations, en classe et à travers l’écran, qu’il faut être fier de son amazighité et de ne pas se dévaloriser devant les autres langues et cultures, même s’il est fortement recommandable de s’ouvrir à elles ».

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