« La réconciliation entre la France et l’Algérie doit se faire » (Arnaud Montebourg)

Arnaud Montebourg, président de l'Association France Algérie
Arnaud Montebourg est le président de l’Association France Algérie (AFA), fondée en 1963. Profitant de sa relation particulière avec l’Algérie, pays d’origine de sa mère, il a œuvré en tant que ministre de l’Économie (2012-2014) pour la relance et le renforcement de la coopération industrielle franco-algérienne. Arrivé à la tête de l’AFA en 2018, il s’est donné comme missions principales de parachever le travail qu’il avait entamé et d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux pays, que l’histoire de la colonisation sépare et rapproche en même temps. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, après l’une de ses nombreuses visites à Alger où il est souvent invité et accueilli en véritable ami, il fait le vœu d’une réconciliation historique entre la France et l’Algérie. Ce qui est, sans doute, la condition sine qua non pour élever le partenariat algéro-français à un niveau d’excellence et d’exception dans tous les domaines, particulièrement l’économie, la science et la culture.

Quelle est votre histoire personnelle avec l’Algérie ?

Mon grand-père maternel s’appelait Khermiche Ould Cadi (originaire d’Oran, ndlr). Ma grand-mère était normande. Ils ont eu quatre enfants, dont ma mère Leïla Ould Cadi, devenue enseignante à l’éducation nationale française. Ma famille s’est engagée contre la colonisation. Et ma mère était d’ailleurs à Charonne (manifestation anti-OAS du 8 février 1962 réprimée dans le sang au niveau du métro Charonne à Paris par la police de Maurice Papon, ndlr).

Pouvez-vous nous présenter l’Association France Algérie (AFA) en quelques mots ? 

L’AFA a été créée en 1963 à l’initiative du général De Gaulle et de Germaine Tillion. Elle a été présidée à l’époque par Edmond Michelet, ancien ministre de la Justice. Depuis presque 60 ans, il n’y a eu que des anciens ministres qui ont dirigé cette association, dont l’objet exclusif est de maintenir l’amitié entre nos deux pays. Vous avez les gouvernements qui s’engueulent, qui se disputent, qui se réconcilient, qui travaillent ou ne travaillent pas ensemble, mais on a les peuples algérien et français qui ont été liés par plus de 130 ans d’histoire commune. Ils veulent vivre, travailler, coopérer, commercer et réfléchir ensemble. Nous avons beaucoup de familles communes. Il y a un pont humain entre les deux rives de la Méditerranée. En France, il y a entre 6 et 7 millions de personnes qui ont une partie de leurs histoires personnelles et familiales avec l’Algérie. Par-delà les circonstances de l’histoire, l’AFA a toujours œuvré pour maintenir l’amitié entre la France et l’Algérie. Elle rappelle souvent deux choses : la colonisation était une erreur historique et les Français ont approuvé le référendum sur l’indépendance de l’Algérie à 90%. Donc pour nous, c’est une affaire tranchée !

Quelles sont les principales activités de l’AFA ?  

Il faut préciser que l’AFA est apolitique, même si elle a été toujours présidée par des anciens ministres. Autrement dit, elle refuse de juger la politique française et de s’ingérer dans les décisions du gouvernement algérien concernant les relations entre les deux pays. Néanmoins, elle reste très attentive à défendre l’amitié entre nos peuples. Et ce, dans tous les domaines, notamment les échanges scientifiques et culturels. Par exemple, nous avons le Prix Cinéma Bouamari-Vautier en soutien au cinéma algérien. Nous faisons aussi un grand travail pour mettre en valeur la littérature francophone algérienne.

Par ailleurs, nous avons un grand volet de coopération économique, dans la même lignée de ce qu’a commencé à faire Jean-Louis Levet (Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne entre 2013 et 2019, ndlr), pour encourager et accompagner les investissements des entreprises françaises en Algérie, mais aussi des entreprises algériennes en France. Quand j’étais au gouvernement, il y a eu le cas par exemple du groupe Cevital de M. Rebrab qui avait acheté Oxxo et Brandt, entreprises en difficulté à l’époque. Elles étaient sauvées car on a fabriqué une partie des produits en Algérie pour le marché africain, et aussi pour le marché européen. Le modèle de colocalisation nord-sud a fait ses preuves et on pourrait l’exploiter mieux.

Comment évaluez-vous le volume des investissements entre la France et l’Algérie ?

Il y a certainement peu. Nous pouvons mieux faire. J’ai dit à un ministre algérien, vous imaginez si les milliards d’euros investis par les entreprises françaises en Chine l’étaient plutôt dans les pays du Maghreb, particulièrement en Algérie ! Le niveau économique dans cette région aurait été autre aujourd’hui. On a perdu beaucoup d’années pour rien. Les responsables algériens le reconnaissent eux-mêmes. Il est temps de travailler à cet effort-là, d’autant plus que le monde vit de nouvelles tempêtes qu’on croyait révolues sur les plans économique et géopolitique. Par exemple, tout le monde sait que la France a besoin du gaz algérien et que l’Algérie a besoin du blé et du lait français. Pourquoi alors on ne peut pas effectuer ce travail de coopération ? J’ai défendu auprès de plusieurs ministres algériens, qui m’ont reçu, l’idée de reprendre la force des échanges. Ici, je vaudrais reprendre le cas de ce que nous avons fait avec l’Allemagne, avec laquelle notre relation historique était encore plus dure. Nous avons 160 milliards d’échanges chaque année avec ce pays, contre 7 milliards avec l’Algérie. On a donc plus de 150 milliards de retard à rattraper. Comme disait Montesquieu, « le commerce adoucit les mœurs ». On a vraiment besoin d’investissements dans les deux sens.

Peut-on atteindre un tel niveau de coopération avec le conflit mémoriel qui n’est toujours pas réglé ?    

Il faut sortir de l’obsession mémorielle. Heureusement que nous ne sommes pas, avec l’Allemagne, à revenir sur l’épisode nazi et hitlérien ! Nous n’avons pas besoin d’excuses car nous savons qui a fait quoi et qui est responsable de quoi ! Par contre, nous avons besoin de travailler ensemble parce que nous sommes des voisins. Ça doit être la même chose entre la France et l’Algérie. Le grand pays du nord et le grand pays du sud de la Méditerranée, dont les capitales sont à deux heures de vol, ne peuvent qu’aspirer à la prospérité commune. Or, je trouve que la question mémorielle est traitée d’une façon excessive. Nous avons en France des nostalgiques de l’Algérie française qui ne comprennent pas que la guerre est finie et que l’histoire a jugé. Et en Algérie, vous avez des obsessionnels de la mémoire qui passent leur temps à considérer que la relation avec la France doit toujours passer par ce levier.

N’est-ce pas difficile de dépasser cette question qui bloque l’avènement d’un partenariat d’exception entre les deux pays ?

Pour y arriver, je suis de l’avis qu’il y ait des projets concrets. Nous en avons beaucoup porté au sein de l’AFA. Il est donc facile pour nous de démontrer parfaitement qu’une collaboration franco-algérienne est possible dans tous les domaines. Il suffit de vouloir le faire. Ces projets se feront avec la volonté des gens qui s’engagent des deux côtés.

Vous étiez l’un des invités d’honneur à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance. Qu’avez-vous retenu de cette visite ?

Le gouvernement algérien est sur une ligne de la recherche d’une Algérie nouvelle, qui veut s’ouvrir davantage aux investisseurs étrangers. Il n’est plus dans une crispation protectionniste. Les responsables algériens sont conscients que les réserves des hydrocarbures commencent à se tarir, et qu’il va bien falloir que le pays augmente son potentiel productif et le diversifie. Comme l’Algérie, d’autres pays qui disposent des mêmes ressources cherchent tous à augmenter leurs productions agricole et industrielle, à créer des filiales de qualité, etc., de manière à donner de l’emploi à la jeunesse qui gronde partout dans le monde. En Algérie, les jeunes ont d’ailleurs grondé d’une façon exemplaire à travers le mouvement du Hirak.

Avez-vous évoqué avec les responsables algériens le futur des relations bilatérales franco-algériennes ?

Oui, j’ai eu cette chance. J’ai dit au président Tebboune, Benjamin Stora s’occupe du passé, moi je vaudrais m’occuper du futur. Et sur le futur, on a tant de choses à faire ensemble. Je crois que le message est passé. J’étais extrêmement bien reçu par plusieurs ministres en charge des questions économiques. J’ai rencontré également avec beaucoup d’intérêt la ministre de la culture. J’ai même suggéré à mes interlocuteurs qu’il y ait une association jumelle de l’AFA en Algérie : l’Association Algérie France, qui pourrait défendre l’amitié entre nos deux peuples et participer à l’œuvre de coopération entre nos deux pays. Cela permettrait d’ouvrir une nouvelle page dans nos relations.

Gardez-vous donc espoir de voir un jour une réconciliation entre l’Algérie et la France ?

Les règlements de compte historiques ne sont pas une politique. Lorsque j’ai entendu un ministre algérien dire que la « France est l’ennemi éternel et traditionnel de l’Algérie », je pense que c’est de la haine. Celle-ci aussi n’est pas un projet politique. Ce n’est pas ça qui va changer la vie des Algériens, que de dire que la France est ceci et cela ! En revanche, construire ensemble des projets peut changer beaucoup de la vie des Algériens… et des Français. Donc, la réconciliation entre la France et l’Algérie doit se faire maintenant car on a perdu assez de temps. L’histoire a tranché sur notre passé colonial. Les Français ont aussi tranché en 1962, soutenant la décolonisation. Maintenant, il faut passer à autre chose.

Pour passer à autre chose justement, quel sont les projets en cours et futurs de l’AFA dans ce sens ?  

Nous envisageons l’intensification de la coopération culturelle et économique. Lors de ma visite à Alger, j’ai défendu auprès de ministres algériens l’idée d’encourager les entreprises algériennes à investir davantage en France, comme il y a des investissements d’entreprises françaises en Algérie. Je pense que nous pourrons faire des alliances extrêmement efficaces, qui nous permettront de résister face à la mondialisation. Et même de s’ouvrir par notre alliance sur le marché africain.

Un mot de fin pour France Algérie Actualité ?

Je remercie France Algérie Actualité de naître, et de parler de cette belle alliance que nous sommes en train de construire. J’espère que l’AFA sera souvent invitée. Nous avons des adhérents qui s’engagent pour renforcer les relations entre nos deux pays sur plusieurs plans, judiciaire, sanitaire, universitaire, etc. Ils pourront vous parler de tout ce qu’ils font pour l’Algérie. C’est absolument passionnant et formidable. Nous préparons le futur !

Une Association Algérie-France bientôt ?

Créée en 1964 à Alger avant qu’elle disparaisse au fil des années, l’Association Algérie France (AAF) était l’homologue de l’AFA avec laquelle elle menait des initiatives communes dans le cadre de la coopération économique et les échanges culturels entre les deux pays. C’est pourquoi, le président de l’AFA, M. Montebourg, ainsi que les autres responsables et adhérents de l’association espèrent la renaissance de l’AAF afin d’accélérer la cadence des projets de partenariat et de collaboration entre les sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée. En attendant, il est à rappeler que l’AFA a créé 6 filiales locales en France.

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